dimanche 17 février 2013

Japon : l’échec grandeur nature du keynésianisme

Shinzo Abe est redevenu premier ministre du Japon en décembre dernier suite à la victoire de son parti, le Parti libéral-démocrate, aux dernières élections législatives. Son plan pour relancer l’économie japonaise est purement keynésien, ce qui ne manque pas de surprendre puisque c’est précisément le remède qui est administré depuis près de deux décennies dans ce pays, et ce avec une inefficacité notoire.

L'État va ainsi injecter 87 milliards d'euros dans l'économie. Ceux-ci vont se répartir entre des rénovations d’infrastructures (routes, ponts ou écoles), des investissements dans des secteurs considérés d’avenir et des dépenses sociales.

Le gouvernement de Shinzo Abe espère ainsi créer 600 000 emplois et obtenir une croissance de 2 % dès la prochaine année fiscale (qui débute en avril). Mais des doutes ont déjà été émis sur la pertinence de ces travaux et certains commentateurs n’y voient même qu’une liste permettant d’atteindre le montant symbolique de la promesse électorale de 10 000 milliards de yens.

Il y a quelques mois, le FMI avait préconisé l’adoption par la Banque du Japon (BoJ) d’un plan pour relancer l’économie. Celui-ci consistait à :
  • relâcher sa politique monétaire ;
  • étendre son programme de rachats d’actifs pour réinjecter des liquidités dans le système bancaire ;
  • relever son objectif d’inflation ;
  • monétiser la dette souveraine de manière plus durable en échangeant les courtes maturités contre des plus longues).
Le gouverneur de la BoJ, Masaaki Shirakawa, avait alors opposé une fin de non-recevoir en jugeant sa politique d’alors « appropriée ». Il se fait en effet peu d’illusions sur l’efficacité de la planche à billets et admet l’échec de ce type de politique : « Pour le moment, l'effet de notre politique monétaire de stimulation de l'économie est très limité. La monnaie est là, la liquidité est abondante, les taux d'intérêts sont très bas, mais les entreprises n'utilisent pas ces conditions financières accommodantes. Le retour sur investissement est trop bas ».

Malheureusement pour Masaaki Shirakawa, Shinzo Abe a repris à son compte les propositions du FMI, notamment sur les taux directeurs et l’inflation. Le deuxième axe de cette politique volontariste consiste ainsi à faire pression sur la BoJ afin que celle-ci adopte une politique monétaire encore plus laxiste et relève son objectif d'inflation annuelle à 2% (contre 1% actuellement). L’indépendance de la BoJ a volé en éclats et le gouverneur a cédé en revoyant à la hausse son objectif d'inflation et en promettant un rachat illimité d'actifs financiers (majoritairement de la dette souveraine) à partir de 2014. Un rythme de 11 milliards d’euros mensuels a été évoqué. Shinzo Abe pouvait jubiler : « C'est historique. Nous changeons de régime monétaire ».

La politique de taux bas a historiquement été peu efficace. On le voit en effet sur le graphique ci-dessous : les taux directeurs sont inférieurs à 1,00% sans discontinuer depuis le 2e semestre 1995, et ce sans impact notable sur la croissance. Le PIB n’a depuis progressé en termes réels que de 14%, soit une progression annuelle moyenne de 0,8% par an.



On constate également que cette baisse des taux courts a fortement pesé sur les taux longs, qui sont depuis la fin des années 1990 sous la barre de 2%, mais cela n’a pas coïncidé pour l’État japonais avec une maîtrise de sa dette. Au contraire, les gouvernements successifs ont profité de ces conditions favorables pour augmenter les dépenses publiques et l’endettement, comme le montre le graphique qui suit.



Le cocktail miracle keynésien de taux bas conjugués avec des déficits publics et de la création monétaire s’est donc révélé inefficace pour la croissance japonaise mais a permis au contraire de creuser une dette colossale.

Nous verrons dans un prochain article comment cet endettement massif a pu se produire alors que dans certains pays de la zone euro, des endettements moindres ont provoqué une explosion des taux d’emprunt et une fermeture de l’accès aux marchés financiers. Nous étudierons également les conséquences et dangers pour le Japon qui peuvent être engendrés par la politique du nouveau gouvernement.

Publié initialement par 24hGold

vendredi 1 février 2013

Point sur le projet de loi de finances français

Il y a trois mois nous avions constaté que le budget 2013 était basé sur des hypothèses assez peu sérieuses et réalistes. À l’époque les prévisions du gouvernement étaient déjà supérieures à celles des autres économistes, qui étaient pour rappel les suivantes :


 
Depuis, l’année 2012 s’est achevée et le consensus des économistes semble avoir tapé assez juste pour 2012 : l’acquis de croissance [1] à la fin du troisième trimestre est de 0,1% et l’INSEE anticipe un léger repli (-0,1%) sur le quatrième trimestre. La croissance française devrait donc être quasiment nulle en 2012. D’ailleurs, la croissance annualisée française est en baisse continue depuis le 1er trimestre 2011 et est devenue nulle au 3ème trimestre 2012. Si la prévision de l’INSEE se confirme pour le 4ème trimestre, elle redeviendra même négative, et ce pour la première fois depuis fin 2009. Réponse par l’INSEE le 14 février prochain.



Rappelons que, s’il n’existe pas de définition officielle pour une récession, une définition assez communément admise est la contraction du PIB sur deux trimestres consécutifs. Ce graphique montre que la France fut en récession car les deux premiers trimestres de l’année furent négatifs. Néanmoins, l’INSEE communique sur des croissances arrondies à une décimale, ce qui a opportunément permis au taux de -0,044% du 2ème trimestre d’être arrondi à 0,0% et donc d’éviter officiellement la récession.

Pour 2013, le consensus [2] des économistes passe de +0,3% à +0,1%, sans entraîner la moindre révision gouvernementale :

Source : La Tribune

Le gouvernement se retrouve donc désormais à 0,7% au-dessus du consensus et persiste dans son déni. Ainsi le ministre de l'Économie Pierre Moscovici déclare dans une interview publiée par Le Figaro le 10 janvier : « Si j'avais aujourd'hui la conviction que la croissance ne pourra pas atteindre 0,8% comme nous l'anticipons, je l'aurais dit. Les incertitudes sont fortes, bien sûr, mais je relève que certaines évolutions - l'accord sur le budget aux États-Unis, les perspectives de croissance de la Chine, les solutions apportées à la zone euro - sont positives. »

Cette croissance atone rendra encore plus difficiles les objectifs gouvernementaux de réduction des déficits publics. Pierre Moscovici les rappelle : « Nous nous sommes engagés à ramener la dépense publique de 56,3% de la richesse nationale en 2012 à 53,1% du PIB en 2017. ».

En réalité, le gouvernement semble être tout à fait conscient que ses objectifs de croissance ne seront pas atteints : c’est pourquoi il essaie désormais d’agir davantage au niveau des dépenses et assure qu’il n’y aura pas de dérapages. Alors qu’il tablait, il y a trois mois, sur une augmentation de 0,7% par an en volume [3], il communique actuellement sur une croissance ‘limitée’ à 0,4% en 2014 et 0,2% en 2015.

Le gouvernement est d’ailleurs vivement encouragé dans cette voie par la Cour des comptes et son président (socialiste) Didier Migaud, qui déclare avec lucidité : « Ne cherchons pas - comme cela a trop souvent été le cas - à prendre appui sur la difficulté de la situation économique du moment pour renoncer à poursuivre l'effort structurel indispensable. La gravité de la situation d'endettement impose que le redressement soit conduit sans relâche ». Et de rajouter que la France « va devoir, dans les années qui viennent, consentir à un freinage sans précédent de la dépense publique ». On ne saurait dire mieux.

Mais pour l’instant, malgré les intentions affichées, la tendance reste tout de même à l’augmentation puisqu’avec une croissance de 0,1% en 2013, la dépense publique atteindrait 56,5% du PIB. On ne peut également s’empêcher de regretter le petit jeu politicien de la gauche qui poussait des cris d’orfraie quand le gouvernement de droite procédait à des modérations pourtant bien moindres de l’augmentation des dépenses publiques…

Quant à la dette publique, la baisse affichée lors du troisième trimestre est en trompe-l’œil puisqu’elle provient essentiellement de la contraction de la trésorerie (-30,7 milliards d’euros). Si la dette brute (celle comptabilisée au sens de Maastricht) baisse de 13,5 milliards d’euros, la dette nette augmente de 24,0 milliards d’euros, pour atteindre 1 640,2 milliards d’euros.

Le diagnostic proposé il y a trois mois est donc toujours valable. Le gouvernement s’acharne à nier la réalité et à repousser des réductions de dépenses qui n’en seront que plus douloureuses. La croissance est non seulement atone mais continue à ralentir, les dépenses publiques et la dette à augmenter. Les inflexions millimétriques de trajectoires proposées par le gouvernement actuel ne sont malheureusement pas à la hauteur des enjeux.

[1] L’acquis de croissance correspond à la croissance de l’année si tous les trimestres suivants de la même année avaient une croissance nulle.
[2] Ce qui est appelé consensus des économistes n’est en fait qu’une simple moyenne.