vendredi 26 octobre 2012

Budget 2013 : des hypothèses peu sérieuses et une crédibilité limitée


Nous avons vu précédemment que la rigueur et l’austérité affichées n’étaient que de façade. Nous allons voir ici que le projet de budget 2013 se fonde sur une série d’hypothèses exagérément optimistes et que l’objectif des 3% de déficit public affiché pour 2013 a très peu de chances d’être atteint ou même approché.

Le projet de budget 2013 se fonde sur une hypothèse de croissance de 0,8%. Ce chiffre est bien supérieur aux prévisions des économistes qui font le constat que l'économie française aura déjà du mal à terminer l'année 2012 en zone positive après trois trimestres de stagnation..

Pour éviter les scénarios fantaisistes, une commission économique de la nation réunissant des économistes avait été créée. Elle est censée, par ses prévisions de croissance, éclairer le gouvernement dans l’élaboration de son budget. Regardons les prévisions de ce panel d’économistes :


Comme on le voit, les prévisions de croissance du gouvernement sont plus optimistes que celles du groupe technique de la commission. Pour 2012 qui se termine, le gouvernement prévoit 0,2 point de mieux que la moyenne, mais aucun économiste ne prévoit au-delà de 0,3%. Pour 2013, le gouvernement budgète 0,5 point de mieux que la moyenne (0,8% vs 0,3%), et seul HSBC (dont la prévision date de juillet) prévoit plus (1,3%). Les organisations internationales comme le FMI et l’OCDE ne sont pas plus optimistes. Le FMI fait les mêmes prévisions [1] que le consensus du groupe technique (respectivement 0,3% et 0,8% pour 2012 et 2013), alors que l’OCDE ne prévoit que 0,1% pour 2012.

Fin juillet le FMI avait invité le gouvernement français à adopter des prévisions de croissance plus crédibles pour construire son budget : « Les prévisions de croissance et les autres paramètres clés sur lesquels sera bâti le budget de l'an prochain devraient être réalistes et ne pas sous-estimer les futurs besoins d'ajustement ». Prenant exemple sur la Grande-Bretagne, les Pays-Bas ou le Canada, Philippe Marini et Nicole Bricq (respectivement rapporteur général du Budget et présidente de la commission des finances du Sénat) avaient proposé de faire élaborer des scénarios de croissance par des structures indépendantes. Au Canada, on utilise ainsi la moyenne des prévisions économiques du secteur privé (aussi appelée consensus). Aux Pays-Bas, un organisme indépendant élabore deux scénarios économiques, un vraisemblable et un prudentiel, et le gouvernement utilise le second pour son budget. Tout l’inverse de l’exécutif français donc.

Regardons du côté des autres prévisions. en ce qui concerne la Sécurité Sociale, le gouvernement table sur une réduction du déficit de 13,3 à 11,4 milliards d’euros (hors fonds de solidarité vieillesse dont le déficit atteindrait 2,6 milliards d’euros). Pour cela, il mise là aussi sur des hypothèses très optimistes. Tout d’abord, un récent rapport de la Cour des comptes estime le déficit de 2012 à 14,7 milliards d’euros. Ensuite, la progression des dépenses ne devra pas dépasser 2,7% (contre 3,8% en moyenne sur ces 10 dernières années) alors que les recettes sont calculées sur une hypothèse de stabilisation du chômage.

Le projet de loi de finances 2013 prévoit également de stabiliser la dette publique à fin 2013 au niveau de 91,3 % du PIB. Même si l'hypothèse de croissance du gouvernement (+ 0,8 %) se révélait juste, cela serait quasiment impossible d’atteindre ce niveau.

En effet, le matin même de la présentation du budget, l’INSEE publiait les derniers chiffres de dette publique connue. Celle-ci s’élève désormais à 1 832,6 milliards d’euros à la fin du deuxième trimestre 2012, soit 91,0% du PIB. On voit mal dans ces conditions comment la dette pourrait se limiter 18 mois plus tard à 91,3% du PIB,  ce qui correspondrait à une détérioration d’à peine 0,3 point.

Car en se basant sur les chiffres du gouvernement pour les déficits de 2012 et 2013 (respectivement 4,5% et 3,0% du PIB), on peut s’attendre à un déficit sur cette période de 18 mois à un déficit aux alentours de 4,5%/2 + 3,0% = 5,25% du PIB, soit bien plus que le 0,3% attendu.

En fait, compte tenu du rythme actuel du déficit (1,1 point par trimestre) et des adjudications de BTAN et d’OAT de septembre et d’octobre, on peut même estimer que le seuil de 91,3% a déjà été dépassé.



Mais se baser sur des hypothèses irréalistes n’est pas propre au gouvernement actuel : le précédent utilisait des méthodes équivalentes. Et les « partenaires sociaux » ne font pas mieux quand le Conseil d’orientation des retraites (COR) réalise ses projections financières pour les déficits futurs du financement des retraites. En 2010, le scénario de base prévoyait ainsi un retour au plein emploi en 2015 avec un taux de chômage de 4,5%, le scénario prudentiel étant établi avec un taux de 7,0%...

Il apparaît donc que les hypothèses sur lesquelles se base le gouvernement sont peu réalistes et que ses objectifs (de déficits comme de dettes) risquent donc fort de ne pas être atteints. Etablir les budgets en se basant sur des hypothèses venant de comités indépendants pourrait être une piste de réforme pour remédier à cela dans l’avenir. Il conviendrait également d’utiliser des scénarios prudentiels, ce qui éviterait la multiplication des collectifs budgétaires.

[1] En fait le FMI a même revu ses prévisions à la baisse au début du mois d’octobre à 0,1% et 0,4% respectivement.

Publié initialement par 24hGold

samedi 13 octobre 2012

Budget 2013 : une austérité de façade


Jean-Marc Ayrault a présenté le budget 2013 et les médias se sont empressés de titrer sur une prétendue rigueur et même austérité. Pour La Croix, « Jean-Marc Ayrault défend un budget d'austérité pour la France », RFI titrait « France : le budget 2013 sous le signe de l’austérité » et France Culture y voyait même « une cure d'austérité sans précédent ». Les réactions politiques ne furent pas plus mesurées, notamment du côté des extrêmes : Jean-Luc Mélenchon estimant qu’il s’agissait d’un « budget d'austérité » alors que Marine Le Pen dénonçait une « hyper austérité absurde, synonyme de contraction de l'activité économique et de creusement des injustices pour les Français ».

La présentation relayée par les médias est celle d’un effort de 30 milliards d’euros qui se décompose de la manière suivante :
· une augmentation de la fiscalité de 20 milliards d’euros (10 pour les ménages et 10 pour les entreprises) ;
· une diminution des dépenses de 10 milliards d’euros.

Dans le détail, voici les principales mesures qui constituent cet effort :



Tout d’abord, même si ces chiffres étaient exacts, la réussite de ces mesures sur le plan économique serait douteuse puisque les plans les plus efficaces sont ceux dont les efforts portent principalement sur les réductions de dépenses [1]. Alberto Alesina and Silvia Ardagna ont, en effet, montré qu’historiquement les ajustements budgétaires basés sur les augmentations d’impôts s’accompagnaient de longues récessions, à l’inverse des ajustements provenant de baisses de dépenses qui ne provoquaient que des récessions limitées dans le temps (voire pas de récession du tout).

Ensuite, les recettes sont sans doute surestimées du fait d’hypothèses trop optimistes  et de la non prise en compte de l’effet Laffer : une augmentation de la pression fiscale désincite à l’activité, ce qui réduit la base imposable et donc le produit de l’impôt.

Mais surtout, l’annonce de la baisse des dépenses apparaît comme tout à fait mensongère. En effet, ces fameuses baisses de dépenses, habilement mises en exergue lors de la présentation du budget, sont en fait plus que compensées par d’autres augmentations de dépenses. Au niveau agrégé, les dépenses publiques totales se monteraient en 2013 à 56,3% d’un PIB estimé à 2 070 milliards d’euros, soit 1 195 milliards d’euros, ce qui correspond en fait à une augmentation de 30 milliards d’euros par rapport à cette année. L’exécutif table sur une progression annuelle de 0,7 % de plus que l'inflation chaque année jusqu’en 2017. Comme l’inflation est prévue à 1,7%, la progression réelle du total des dépenses publiques est de 2,4%. Nous sommes donc très loin d’une baisse des dépenses, et donc d’une réelle austérité.

Les dépenses publiques totales sont principalement composées de trois pôles : l’État, la Sécurité Sociale et les collectivités locales. Au niveau de l’État seul, les dépenses passeraient de 369,8 à 370,9 milliards d’euros, ce qui correspond à une augmentation de 0,3%. De plus, la rigueur est toute relative puisque les dépenses de l’État excèdent ses recettes de 58,3 milliards d’euros, soit 19% ! Comment un ménage qui dépense 19% de plus que ce qu’il gagne, peut-il être considéré comme  rigoureux dans sa gestion ? Il est à noter que les recettes sont supposées atteindre un niveau historiquement élevé en 2013 avec 53,3% du PIB :


En fait, il serait plus exact de parler de choc fiscal que d’austérité pour l’État. La rigueur concerne avant tout les les ménages et les entreprises puisqu’il est prévu que les recettes  passent de 51,8% du PIB en 2012 à 53,3% l’année prochaine. Cela risque de peser fortement sur une croissance déjà probablement surestimée. En effet, le projet de budget 2013 se fonde sur une série d’hypothèses toutes plus optimistes les unes que les autres, ce qui rend l’objectif des 3% de déficit public pour le moins incertain. C’est ce que nous verrons dans un prochain article.

[1] Alberto Alesina and Silvia Ardagna, Large changes in fiscal policy: taxes versus spending