De nombreux articles
et livres fleurissent pour nous démontrer que les
inégalités s’accroissent en France et dans le monde. Le
prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz publiait ainsi
récemment un livre intitulé Le
Prix de l’inégalité. Ces publications rencontrent
traditionnellement un bon accueil dans notre pays car les français se
sentent très concernés par ces problématiques. L’égalité
est en effet, avec la liberté et la fraternité, l’un des
trois piliers de la devise républicaine : il serait donc naturel
de lutter contre les inégalités.
Ce serait faire là une terrible confusion et
manquer l’ambiguïté qui existe dans le terme
d’égalité, dont jouent ceux qui poussent à toujours
plus de redistribution. Référons-nous à la déclaration
des droits de l'homme et du citoyen de 1789. L’article 1 stipule que «
les hommes naissent et demeurent libres
et égaux en droits » alors que l’article 2
rappelle que le but de toute association politique doit être « la conservation des droits naturels et
imprescriptibles de l’Homme », identifiés comme
étant « la
liberté, la propriété, la sûreté et la
résistance à l'oppression ». Selon
l’article 1, l’égalité est donc bien celle des
droits, pas celle des résultats. La loi doit donc être la
même pour tous et il ne doit pas exister de passe-droit.
L’égalité des revenus et des possessions est même
indirectement exclue par l’article 2 puisque celle-ci permet la
conservation de la propriété.
Ceci étant posé, examinons tout de
même ces « inégalités ». Il existe
de nombreux indicateurs statistiques tentant de mesurer les
inégalités mais deux d’entre eux sont couramment
utilisés : le rapport inter-décile et l’indice de
Gini. Le premier consiste à faire le rapport entre le neuvième
et le premier décile [1] : plus ce ratio est élevé,
plus l’inégalité des revenus est importante. Le second
est issu d’une formule plus complexe mesurant les écarts par
rapport au revenu moyen. L’indice est compris entre 0 et 1, 0
correspondant à l’égalité parfaite et 1 à
la situation où tous les revenus seraient gagnés par un seul
individu.
Notons d’abord que contrairement aux
idées reçues et malgré les quelques
rémunérations exorbitantes dont peuvent
bénéficier certains sportifs, chanteurs, acteurs ou patron du
CAC40 faisant les gros titres des journaux, les inégalités de
revenus en France sont globalement stables depuis 30 ans et largement en
baisse par rapport aux années 1970 :
Source :
INSEE
Soulignons cependant que ces indicateurs présentent
des faiblesse presque
insurmontables car ils mesurent des groupes qui ne
sont pas statiques. Par exemple, dans le cas du rapport inter-décile,
la composition des déciles varie d’une année
l’autre. Ainsi, imaginons la situation suivante. À un instant
donné le ratio inter-décile est élevé, signe de
fortes inégalités. Quelques années plus tard, on mesure
de nouveau D1 et D9 : ils sont inchangés (ou affichent le
même taux de progression). Quand on regarde ce que sont devenus les individus
composant le premier décile à l’origine, on
s’aperçoit qu’ils sont désormais tous dans le
dernier décile, et vice et versa. Et pourtant l’indicateur
statistique conclura à des inégalités importantes et
constantes ! De la même manière, si la hiérarchie
des revenus était inversée en conservant
les rapports d’ordre de grandeur, l’indice de Gini demeurerait
inchangé et conclurait de manière similaire à des
inégalités fortes et constantes.
Évidemment, ce sont deux situations extrêmes
qui n’ont aucune chance de se produire, mais cette mobilité est
loin d’être négligeable. On apprend par exemple ici
que les revenus moyens des américains qui se situaient dans le plus bas
quintile en 1996 avaient augmenté de 91% en 2005, mais qu’en
revanche ceux du premier percentile – c’est-à-dire les 1% ayant les revenus les plus
élevés – avaient diminué de 26%. En outre, plus
de la moitié de ces derniers ne figuraient plus dans le premier
percentile en 2005.
Une autre étude de
l’Université du Michigan a démontré que seulement
5% des individus situés dans le cinquième quintile des revenus (mesurant
les revenus les plus faibles) en 1975 y était encore en 1991, alors
que 29% d’entre eux avaient atteint le premier quintile à cette
date. Plus de la moitié des individus du dernier quintile en 1975
avaient été dans le premier quintile pendant au moins une
année entre 1975 et 1991.
Conclusion similaire dans cet autre article :
une première étude montre que 86% des américains les
plus pauvres en 1979 ne le sont plus neuf années plus tard. Une seconde
étude,
portant sur une durée un peu plus longue (de 1975 à 1991)
conclut à 95% de personnes sortant des 20% aux revenus les plus
faibles.
On observe
le même phénomène quand on tente d’observer les
inégalités de revenus non plus entre les individus mais entre
les différents peuples. Le rapport mondial sur le développement
humain 2000/2001 préconisait ainsi une comparaison entre les 20 pays
les plus riches et les 20 pays les plus pauvres, et ce ratio était
passé de 23 en 1960 à 39 en 2000. Toutefois, en effectuant le calcul
sur le même ensemble de pays (c’est-à-dire
en conservant la répartition des pays les plus riches et les plus
pauvres en 1960), un résultat
radicalement opposé était observé puisque le ratio
diminuait à 9,5.
Le débat sur les inégalités
est donc largement surfait, biaisé, et se réalise de plus
à l’aide d’indicateurs à la pertinence largement
discutable.
[1] Le premier décile (noté
généralement D1) est le salaire au-dessous duquel se situent 10
% des salaires. Le neuvième décile (noté
généralement D9) est le salaire au-dessous duquel se situent 90
% des salaires.
[2] Indice de Gini : G = 1
- 2BPublié initialement par 24hGold
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