Comme chaque
trimestre depuis 2008, les paris étaient ouverts pour savoir à
combien allait se situer la nouvelle rémunération du livret A,
actuellement fixée à 1,75%. Le débat qui divisait
le gouvernement a été tranché : le taux sera
de 1,25% à partir du 1er août 2013. Cela constitue un
plus bas historique
(atteint en 2009 également) depuis sa création en 1818 par Louis XVIII pour solder les dettes
héritées des guerres napoléoniennes.
Ces paris illustrent qu’en dépit de règles visant
à limiter l’interventionnisme sur ce marché de
l’épargne, cela reste à ce jour un vœu pieux.
En effet, le
gouvernement de Jean-Pierre Raffarin avait tenté de mettre en place un
mode de calcul du taux du livret A visant à éviter un
interventionnisme politique constant dans ce domaine. Ainsi, depuis le 1er
février 2008, le taux du livret A devait être automatiquement
défini [1] comme étant égal, après arrondi au
quart de point le plus proche ou à défaut au quart de point
supérieur, à
< Euribor 3
mois > est la moyenne mensuelle de l’Euribor 3 mois (exprimée
avec deux décimales).
< Eonia > est la moyenne mensuelle de l’Euribor de
l’Eonia (exprimée avec deux
décimales).
L’inflation
est la variation sur les douze derniers mois connus de l’indice INSEE
des prix à la consommation de l’ensemble des ménages hors
tabac (exprimé avec une décimale).
Les
données utilisées sont celles relatives au dernier mois pour
lequel ces données sont connues.
Las, les
politiciens n’ont pas pu s’empêcher
d’interférer et ont profité d’une fenêtre
laissée par le législateur [2] :
« Toutefois,
lorsque, à l'occasion de son calcul, la Banque de France estime que des
circonstances exceptionnelles justifient une dérogation à
l'application de l'un ou de plusieurs des nouveaux taux calculés selon
les règles fixées au I du présent règlement, ou
que l'application de la règle mentionnée au I 1° du présent
règlement conduit à un nouveau taux des « livrets A
» (Arrêté du 28
juillet 2008) ne permettant pas de préserver globalement le
pouvoir d'achat des épargnants, le Gouverneur transmet l'avis et les
propositions de taux de la Banque de France au ministre chargé de
l'économie, président du Comité de la
réglementation bancaire et financière. Dans ces cas, les taux
sont maintenus à leur niveau antérieur et le Comité de
la réglementation bancaire et financière examine
l'opportunité de les modifier. »
Les ministres
de l’économie successifs ne se sont pas privés
d’exploiter cette faille. Sur les 23 fixings depuis sa mise en place,
le gouvernement n’a suivi la formule qu’à 7 reprises. Il a
dérogé à la règle 10 fois à la hausse
(avec jusqu’à 1,25% d’écart) et 6 fois à la
baisse :
Ainsi,
Christian Noyer (gouverneur de la Banque de France) a donné son accord
le 12 juillet dernier à ce que l’exécutif déroge
à l'application de la formule mathématique. L’application
de celle-ci aurait impliqué un taux de 1,00%. Pour le Gouverneur, cela
« conduirait à une
forte variation et à un niveau inédit de la
rémunération du Livret A ». Sa recommandation était de fixer le taux à 1,25 %, alors que
l’Élysée était favorable à une baisse moins
brutale avec un taux de 1,50%. Le choix est cornélien : baisser
le taux est la certitude de mécontenter un produit très
populaire chez les Français (63,3 millions de livrets A ouverts à fin
2012). À l’inverse, les crédits pour les logements
sociaux ou les crédits à très long terme de la CDC aux
collectivités sont fonction du taux du livret A. Ainsi Pierre
Moscovici s’est-il réjoui
d’une baisse qui « engendre une économie de près de
600 millions d'euros en année pleine pour les organismes de logement
social » et qui crée « un choc d'offre pour le
logement social, pour la rénovation thermique, et l'investissement des
collectivités locales ».
Cette
décision va donc impacter les 262 milliards d'euros d’encours
déposés sur le livret A. Longtemps réservée
à La Poste (La Banque postale) et à la Caisse d'épargne
[3], sa distribution s’est élargie à la concurrence
depuis le 1er janvier 2009. L’encours de 139 milliards
d’euros à fin 2008 aura donc presque doublé en un peu
plus de 5 ans. Le taux du livret A influe en outre directement [4] sur la
rémunération d’autres produits d’épargne
réglementée [5] comme le Livret d'épargne populaire
(LEP), le Livret de développement durable (LDD) et le Compte
épargne logement (CEL), soit 445 milliards d’euros
d’épargne :
De plus, le
niveau des taux de ces livrets impacte fortement, bien que de manière
indirecte, les rémunérations proposées sur
l’ensemble du reste de l’épargne bilancielle (livrets ou
comptes à terme principalement). C’est assez dramatique dans la
mesure où cela empêche les mécanismes de marché de
fonctionner. En effet, le taux d’intérêt offert pour les
dépôts et les crédits est censé résulter
d’un rapport entre l’offre (des épargnants) et la demande
(des emprunteurs). Avec les mécanismes de marché classiques,
une augmentation de la demande des crédits conduit à une
augmentation des taux de ceux-ci, alors qu’une baisse a l’effet opposé. Mais ces mécanismes
de marché ayant ainsi été désactivés,
l’autorégulation ne peut plus fonctionner.
L’économie
planifiée se manifeste par une fixation (ou un encadrement) des prix
par l’autorité centrale, et de tous les prix celui de
l’argent (le taux d’intérêt) est sans doute le plus
important. Sa manipulation, que ce soit par un législateur ou par une
banque centrale, aboutit à la transmission d’informations
falsifiées. Les investissements se font alors sur une perception erronée
de la réalité, ce qui débouche sur une mauvaise
allocation des capitaux. L’école
autrichienne nous a ainsi enseigné que des taux
d’intérêts maintenus artificiellement bas favorisaient la
formation de bulles, qui sont destinées à éclater et
provoquer des crises. La crise immobilière aux États-Unis en
est une illustration récente des plus notables.
Plus de la
moitié des dépôts des français est ainsi
orientée vers des produits d’épargne
réglementée. De plus, la rémunération de ces
dépôts est décidée ou encadrée par le
gouvernement, ce qui détruit les mécanismes de marché.
Même si une formule avait été introduite pour singer les
mécanismes de marché et empêcher les politiciens
d’intervenir, ces derniers y ont dérogé dans plus de deux
tiers des cas. L’épargne bancaire française symbolise
ainsi parfaitement l‘interventionnisme politique français, la
méfiance envers l’économie de marché et
l’attirance pour l’économie administrée.
[1]
Règlement n°86-13 du 14 mai 1986 relatif à la
rémunération des fonds reçus par les
établissements de crédit.
[2] cf. [1]
[3] Le
Crédit mutuel pouvait distribuer le Livret bleu, qui présentait
les mêmes caractéristiques.
[4] cf. [1]
[5]
L’« épargne réglementée » est un terme
générique pour désigner les dépôts
rémunérés selon un taux fixé par l'État.
Ces dépôts bénéficient en outre d’une fiscalité
favorable (soit aucune, soit uniquement les prélèvements
sociaux qui sont actuellement à 15,5%).Publié initialement sur 24hGold
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