Friedrich Hayek a obtenu le prix Nobel d’économie en
1974. Lors du discours au banquet de remise des prix Nobel, le 10
décembre de cette même année, il se montra prudent :
« je dois confesser que si on m’avait consulté sur la
question d’établir un prix Nobel d’économie, je me
serais exprimé fermement contre ». Il considérait
entre autre « qu’un prix Nobel confèrerait à
un individu une autorité qu’en économie nul homme ne
devrait posséder. »
D’autres prix Nobel n’ont pas la même modestie ni la
même retenue. Joseph Stiglitz fut nobélisé en 2001 en
compagnie de George Akerlof et Michael Spence pour leurs travaux sur les marchés avec
asymétrie d'information. Le moins que l’on puisse écrire
est que Stiglitz ne manque pas une occasion de donner son avis, sur des
sujets n’ayant au mieux qu’un lointain rapport avec son prix
Nobel. Il profite de manière éhontée du prestige
lié à son prix pour truster les médias et peser dans le
débat public. Cet entretien
accordé à La Tribune,
dans lequel il exprime des avis tranchés et non argumentés sur
une grande variété de sujets, en est une caricature frappante.
Les raisons de la crise actuelle ? Il pointe notamment la
régulation financière et la prise de risque excessive de banques
toujours « too big
to fail » [1]. Quand Stiglitz incrimine la
réglementation, il faut bien sûr comprendre que, selon lui, il
n’y en a pas assez. Or, comme le démontre
Vincent Benard, la régulation
financière étatique est condamnée à
échouer. Les régulations ne tiennent non seulement pas leurs
promesses de stabilisation mais ont en plus de nombreux effets pervers.
L’interventionnisme public est à l’origine de la formation
de la bulle immobilière. La création de la Fed a débouché
sur une instabilité bancaire plus élevée. Les accords de
Bâle ont renforcé le risque systémique au lieu de le diminuer.
Ils ont en outre incité les banques à acheter massivement de la
dette souveraine ou à préférer
les prêts immobiliers aux prêts aux entreprises, ce qui les a
exposées aux crises des subprimes et de la dette, tout en compliquant le
financement de l’économie.
Quant aux banques « too big to fail », pourquoi ne
pas les laisser faire faillite ? En considérant
qu’au-delà d’une certaine taille les établissements
seraient systématiquement sauvés, les autorités
n’ont-elles justement pas encouragé les comportements
risqués ? Alourdir les réglementations coûte certes
très cher aux grandes banques, mais pour les plus petits acteurs ce
peut être létal (sans compter le fait que cela constitue une
énorme barrière à l’entrée pour de nouveaux
concurrents potentiels). Ainsi la banque
privée suisse Frey, « financièrement saine »,
annonçait
récemment mettre fin à ses activités. Markus A.Frey, président du conseil
d’administration expliquait cette décision par les « conditions de marché de plus en
plus difficiles, des règles prudentielles de plus en plus lourdes pour
de petits établissements, ainsi qu’à cause du conflit
fiscal aux Etats-Unis » en constatant qu’« au cours des derniers mois […] les
coûts se sont tellement aggravés qu’ils ne sont plus
supportables pour une petite banque privée. » Le
nombre de banques en Suisse a ainsi été divisé
par deux (de 625 à 312) ente 1990 et 2011.
Stiglitz poursuit par l’inévitable touche écologique :
« l'économie de marché n'a toujours pas pris
conscience de l'environnement. Nous consommons plus de ressources naturelles
que ce que nous avons. » Nous consommerions donc des ressources
que nous n’avons pas. Sans doute sont-elles apportées en
soucoupe volante par des extra-terrestres…
Après un classique couplet sur les inégalités (se
basant sur des indicateurs largement discutables),
Stiglitz délivre son remède pour sortir l'économie
européenne de l’ornière. La solution est bien
évidemment keynésienne : « il faut des
politiques de croissance et non des politiques d'austérité,
comme c'est le cas aujourd'hui. » Stiglitz dresse là une classique mais factice opposition entre croissance et
austérité, tout en affirmant implicitement que nous sommes
actuellement en période d’austérité. Peu importe
que le niveau des dépenses publiques atteigne un record (49,9% du PIB
en 2012 pour l’Union européenne et 56,8% pour la France). Comme
nous l’avons déjà
vu, les seuls à supporter l’austérité sont les
citoyens et non les États. Stiglitz enfonce le clou avec cette
sentence définitive : « aucune économie n'est
jamais revenue à la prospérité avec des mesures
d'austérité. » On peine à le croire mais le prix
Nobel l’a bien écrit : ça n’est jamais arrivé. Évidemment,
ces propos ne sont pas passés inaperçu et sont du pain
béni pour les partisans du laxisme budgétaire, comme Arnaud
Montebourg, qui peuvent désormais citer
le prix Nobel avec l’autorité qui y est liée. Joseph
Stiglitz n’a sans doute jamais entendu parler de la Suède. Au
bord de l’asphyxie financière au début des années
1990, le gouvernement suédois a réduit
les dépenses publiques de près de 16 points de pourcentage de
PIB entre 1993 et 2000 (la dette publique tombant de 72,5% en 1994 à
53% en 2000), ce qui permit un excédent budgétaire dès
1998 alors qu’il affichait un déficit à deux chiffres en
1993. Cela a-t-il débouché sur une croissance
anémique ? Pas du tout : elle a atteint entre 1994 une
moyenne de près de 3,5% par an. Plus proche de nous figurent les
exemples allemands et lettons
qui montrent les succès d’une politique
d’austérité. De plus, des études récentes [2]
ont démontré qu’il était économiquement
plus efficient de jouer sur les baisses de dépenses plutôt que
sur les hausses d’impôts pour ramener un budget à
l’équilibre. Difficile dans ces conditions d’affirmer que
cela n’a jamais
réussi.
Outre la fin des politiques d’austérité (dont nous
avons vu qu’elles n’avaient pas été mises en place
et qu’elles ne s’opposaient pas à la croissance), Stiglitz
avance d’autres solutions : les créations d’une union
bancaire et des eurobonds.
En quoi consiste l’union bancaire, pour laquelle le Conseil
européen vise
un accord avant fin 2013 ?
Cette réforme est organisée
autour de trois points :
- la centralisation de la supervision bancaire par la Banque centrale européenne (qui devrait se réaliser dès 2014),
- la mise en commun des schémas nationaux de protection des dépôts,
- la création d’un fonds commun pour la résolution des banques en difficulté.
Uniformiser les normes prudentielles interdit aux superviseurs
nationaux d’appliquer des règles plus strictes. De plus, cela
rajoute un fort risque systémique puisque cela débouchera sur
une uniformisation des comportements des banques, ce qui veut dire que quand
des erreurs seront commises, elles le seront en même temps. De
même, la mutualisation des coûts de renflouement ne va pas dans
le sens de la responsabilisation des États membres.
Quant aux eurobonds,
ils ne sont pas la solution
à la crise. Leur création introduirait, en effet, un nouvel
aléa moral qui déresponsabiliserait encore plus les
gouvernements. La mise en place de l’euro a permis aux États d’emprunter
à des conditions financières très proches (ce qui est aussi
l’objectif des eurobonds)
jusqu’au deuxième semestre 2008, où elles ont
commencé à diverger. Ces eurobonds, qui ont donc déjà
existé, n’ont pas empêché le surendettement de
plusieurs Etats. Qui plus est, par les taux d’emprunt très
favorables qu’ils ont autorisés, il est même permis de
penser qu’ils l’ont favorisé et que les gouvernements en
ont profité pour augmenter les dépenses publiques. En
déresponsabilisant encore plus les gouvernements et en permettant des comportements
de passager clandestin [3], les eurobonds ne feraient donc qu’empirer la situation
actuelle.
Stiglitz s’en prend ensuite au libéralisme par le biais
de la main invisible : « la main invisible censée
réguler le marché est invisible... parce qu'elle n'existe pas. »
Il commet là un grand contresens sur la signification de la
‘main invisible’, introduite par Adam Smith dans son ouvrage La Richesse des Nations. Adam Smith
signifiait simplement qu’en recherchant leur intérêt
personnel, les individus pouvaient contribuer au bien-être commun, sans
qu’ils aient eu pour but initial d’y participer. Ainsi, le
cordonnier produit des chaussures pour les vendre et avec les
bénéfices réalisés subvenir à ses besoins,
pas pour l’intérêt de la société, même
si celui-ci s’en trouvera mieux. Il n’est donc ici aucunement
question de régulation de marché.
Ce concept de ‘main invisible’ fut ensuite repris et
approfondi par Hayek sous la dénomination d’ordre
spontané défini sur Wikiberal de
la manière suivante : « ordre qui émerge
spontanément dans un ensemble comme résultat des comportements
individuels de ses éléments, sans être imposé par
des facteurs extérieurs aux éléments de cet ensemble. »
C’est donc tout à fait logiquement que Stiglitz s’en prend
ensuite au prix Nobel 1974 : « la vérité est
que la vision d'Hayek, qui stipule que le marché fonctionne
parfaitement seul et s'autorégule, était fausse. ». Là
encore, on voit bien que l’interprétation que fait Stiglitz
d’Hayek est complètement erronée. Qui plus est, on peine
à discerner par quel raisonnement logique Stiglitz déduit de la
défaillance de la réglementation par l’État, une
incapacité par le marché à s’autoréguler.
Joseph Stiglitz conclut de manière symptomatique que « Keynes
avait totalement raison » et que « ses
prévisions expliquant que les dépenses publiques stimuleraient
l'économie […] étaient totalement justes. » De
plus, les solutions proposées et évoquées dans cet
article ne seraient pas plus efficaces que les premières, et aurait
là aussi des effets pervers.
De manière générale, Stiglitz est dans le
déni de réalité. Il utilise le prestige de son prix
Nobel pour se contenter d’étaler sa foi dans le
keynésianisme sans présenter le moindre argument. Stiglitz est
sans doute la meilleure illustration de ce envers quoi Hayek nous avertissait
en disant « qu’un prix Nobel confèrerait à un
individu une autorité qu’en économie nul homme ne devrait
posséder. »
[1] Certaines banques ont une taille si importante qu’elles
présentent un risque dit systémique, c’est-à-dire
que leur faillite entraînerait par effet domino la chute d’autres
institutions financières. Ces banques sont dites « too big to fail
», « trop grosses pour faire faillite ».
[2] Large Changes in Fiscal Policy: Taxes versus Spending, publié
par Alberto F. Alesina et Silvia Ardagna
The Right Way to Balance the Budget, publié par Kevin A. Hassett,
Andrew G. Biggs et Matthew H. Jensen[3] Le comportement de passager clandestin consiste ici à bénéficier des avantages de l’union économique sans en respecter les règles de gestion rigoureuse.
Publié initialement en deux parties sur 24hGold.
Partie 1
Partie 2
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