samedi 21 juillet 2012

Les eurobonds, la solution à la crise ?


Les dirigeants européens ont la solution miracle pour faire redémarrer l’économie. Il y a certes le fameux plan de relance de 120 milliards d’euros qui consiste à créer plus de dette pour sortir de la crise de la dette (!), mais il y a aussi et surtout les fameux eurobonds.

Les détails du projet ne sont pas encore finalisés, mais le principe serait de collectiviser les dettes des États de la zone euro. Il y aurait par conséquent un assouplissement des conditions d’emprunt pour les États devant actuellement payer des taux élevés au prix d’une augmentation des taux pour les États bénéficiant pour l’instant de taux faibles. Les États les moins bien gérés pourraient ainsi en profiter pour se désendetter.

La première objection à ce projet est éthique : les États surendettés ne le sont pas devenus par hasard, et ceux qui ont maîtrisé leurs déficits le doivent à la (relative) rigueur de leur gestion et non à la chance. Certains ont dû sérieusement serrer les cordons de la bourse (Finlande, Slovaquie et Estonie) et ne voient pas pourquoi ils auraient à payer pour ceux qui ont vécu au-dessus de leurs moyens et qui ont parfois un niveau de vie qui reste plus élevé que le leur.

La ministre des Finances finlandaise se refuse ainsi à payer la dette des a...es États et déclare même que « la Finlande ne s'accrochera pas à l'euro à n'importe quel prix et est prête à tous les scénarios ». Pour le ministre estonien des Finances : « les Grecs doivent faire des réformes et réduire leur niveau de vie. Ils ne l’ont pas encore assez fait. Leur salaire minimum reste deux fois plus élevé que le nôtre en Estonie. Je ne pense pas qu’ils le méritent. ».

La création d’eurobonds introduirait en effet un nouvel aléa moral considérable, formidable incitateur à une déresponsabilisation croissante. La morale de la fable de la cigale et de la fourmi s’en retrouverait inversée et, pour paraphraser l’économiste français Frédéric Bastiat, l’Europe deviendrait officiellement cette grande fiction à travers laquelle chaque État s’efforcerait de vivre aux dépens des autres États (en l’occurrence surtout de l’Allemagne).

L’efficacité économique d’une telle mesure est en outre très douteuse. Ces eurobonds ne constituent en effet pas une nouvelle solution : ils ont déjà existé par le passé, même s’ils n’en portaient alors pas le nom. Il suffit pour s’en convaincre de regarder l’évolution de l’emprunt à 10 ans des 12 fondateurs de la zone euro (la Grèce n’a en fait rejoint les 11 autres pays qu’en 2001 au lieu de 1999, faute de satisfaire aux critères de Maastricht…) :




Sources : Eurostat, Reuters





L'étendue correspond à l'écart entre la valeur la plus élevée et la moins élevée
Source : Eurostat


On s’aperçoit qu’en 1999 chacun des États empruntait à des conditions plus ou moins similaires, exception faite de la Grèce qui attendit 2001 pour voir ses taux converger avec ceux des autres. Jusqu’au deuxième semestre de 2008, les conditions d’emprunt de ces États demeurèrent proches les unes des autres.

On remarque également que les conditions d’emprunt de l’ensemble des membres de la zone euro sont restées pendant cette période proche de 10 ans à des niveaux très inférieurs à ce qu’ils pouvaient espérer auparavant.

Nous avons donc déjà connu pendant près de 10 ans une situation analogue à celle que l’on vise à mettre en place en créant des eurobonds, ce qui ne nous a manifestement pas empêchés de nous retrouver dans la situation actuelle de surendettement. S’il y eut certains cas de gestion rigoureuse où les gouvernements ont profité de la baisse des taux pour se désendetter (comme en Finlande), plus courant fut le comportement de passager clandestin. Celui-ci consiste à bénéficier des avantages de l’union économique sans en respecter les règles de gestion rigoureuse, et à profiter de la baisse des taux pour emprunter et dépenser toujours plus. Et lorsque les investisseurs se sont rendu compte que certains États pouvaient faire défaut, ils ont revu leurs primes de risque pour prêter aux membres de la zone euro. On constate ainsi, depuis le deuxième semestre 2008, une différenciation nette de leurs conditions d’emprunt :





Sources : Eurostat, Reuters





Sources : Eurostat, Reuters

Malgré tout, quoi qu’il advienne du projet des eurobonds, la collectivisation des coûts a déjà été engagée par les États européens par l’entremise du Mécanisme européen de stabilité qui va intervenir par l’achat des dettes souveraines sur le marché secondaire. Cet organisme risque fort d’être un tonneau des Danaïdes puisque ses membres (dont la France) sont irrévocablement engagés (article 9.3) à honorer sur demande tout appel de fonds dans les sept jours après réception, faute de quoi les récalcitrants seront poursuivis en justice.

Publié initialement par 24hGold

samedi 7 juillet 2012

Taux d’intérêt des dettes souveraines : une baisse illusoire


La récente détente des taux d’emprunt des  États comme la France ou l’Allemagne est interprétée par certains analystes comme une marque de confiance des investisseurs et un témoignage de regain de solidité de de l’économie de ces pays.

Cette opinion est pourtant erronée. Les taux d’intérêt sont des prix, fruit d’une offre et d’une demande. Ils sont largement influencés par la politique de la banque centrale qui gère la zone monétaire concernée, les prix étant d’autant plus faussés que l’interventionnisme est important. Or la période récente a été marquée par une création monétaire massive de la part des banques centrales (le bilan de la Banque centrale européenne (BCE) représente désormais environ un tiers du PIB de la zone euro), ce qui pousse artificiellement les taux d’intérêt à la baisse. L’interprétation de l’évolution du niveau des taux d’intérêts en devient donc assez hasardeuse.

Une fois évacuée la problématique de la création monétaire, qui d’ailleurs n’est pas l’apanage de la banque centrale et provient aussi des banques commerciales, quels autres paramètres influencent les taux d’intérêt ?

On peut considérer que ce taux d’intérêt est la somme de trois composantes. La première est la préférence temporelle, c’est-à-dire le choix de renoncer à consommer son capital aujourd’hui pour l’épargner sur une durée contractuelle et obtenir une rémunération en échange. Sans quoi le prêteur n’a aucun avantage à l’opération : il peut tout aussi bien thésauriser son capital.

La seconde composante est l’inflation, ou plus exactement l’anticipation de l’inflation future. L’investisseur souhaite ainsi se couvrir contre la perte du pouvoir d’achat de la monnaie (augmentation de la masse monétaire). L’investisseur demandera un taux d’intérêt d’autant plus élevé qu’il anticipe une forte dégradation de celui-ci. Par exemple la masse monétaire (M3) de la zone euro a augmenté de 120% depuis la création de l’euro (janvier 1999) et il aurait fallu un rendement annuel de 6,2% sur son capital pour compenser l’inflation.

Enfin, la dernière composante est la perception par l’investisseur du risque de crédit représenté par l’emprunteur. Les deux premières composantes étant considérées comme relativement stables dans le temps, il s’ensuit que les variations de taux d’intérêt sont principalement interprétées comme une conséquence de l’évolution des avis des investisseurs sur la solidité de l’emprunteur. Ainsi, une baisse des taux est interprétée comme la résultante d’une prime de risque moins élevée.

Si l’on s’intéresse aux dettes souveraines des 12 fondateurs de la zone euro (la Grèce n’a en fait rejoint les 11 autres pays qu’en 2001 au lieu de 1999, faute de remplir les critères de Maastricht…), on obtient les conditions suivantes pour l’emprunt à 10 ans :



Sources : Eurostat, Reuters et Bloomberg

Exemple de lecture pour la France : le taux d’emprunt à 10 ans de la France s’élève à 2,75% en mai 2012 contre 3,08% en mai 2010, soit une baisse de 0,33%.

On voit qu’en mai 2010 un groupe de 7 États bénéficiait de conditions d’emprunt relativement favorables par rapport aux autres, communément dénommés les PIIGS (Portugal, Ireland, Italy, Greece et Spain). Sur ces deux dernières années (et surtout ces six derniers mois), alors que la situation économique s’est considérablement dégradée, les conditions d’emprunt se sont donc améliorées de manière très significative pour six d’entre eux, seule la Belgique ayant vu ses conditions d’emprunt se détériorer.

C’est ce qu’on appelle en finance le  phénomène dit de flight to quality : en période de forte incertitude les investisseurs se réfugient vers les actifs considérés plus sûrs. Mais l’univers des actifs éligibles n’est pas illimité, et le caractère risqué ne s’entend pas dans l’absolu, mais par rapport aux autres signatures. Le risque souverain du groupe de pays en question est donc moins mauvais que celui des autres mais la question de savoir s’il est bon, reste entier.

Or, il existe un autre outil permettant une mesure isolée du risque de défaut : les Credit Default Swap (CDS). Ces instruments sont en effet utilisés pour se couvrir contre le risque de défaut de crédit d’un prêteur (entreprise ou État). Le fonctionnement est de type assuranciel : en échange du paiement d’une prime par X à Y, Y s’engage à verser la partie du capital non recouvrée à X. Les primes de CDS permettent donc d'estimer les probabilités de défaut anticipées par les marchés.

Voici les niveaux des CDS 10 ans sur les mêmes États que précédemment :


Et la conclusion est sans appel : le risque de défaut s’est accru pour l’ensemble des États.

Publié initialement par 24hGold