mardi 29 avril 2014

Le déficit public français toujours hors de contrôle

L’INSEE dévoilait le 31 mars derniers plusieurs indicateurs économiques clé concernant l’état de l’économie française. De manière opportune, ces publications intervenaient le lendemain du second tour des municipales, qui ne furent guère favorables au pouvoir en place. Ces indicateurs se sont révélés être assez médiocres.

À la fin de l’année 2013, la dette trimestrielle de Maastricht des administrations publiques s’établissait à 1 925,3 milliards d’euros, soit 93,5% du PIB. C’est bien au-delà des 60% tolérés par le traité de Maastricht (dépassés en 2003) et très au-dessus des 91,3% prévus initialement :
On aura aussi noté que, contrairement à ce qui est régulièrement dénoncé, il n’y a pas d’austérité en France (si ce n’est pour les ménages). En effet, les dépenses publiques ont progressé l’année dernière de 23,5 milliards d’euros (+2,0% par rapport à 2012). À 1 176,1 milliards d’euros, elles représentent désormais 57,1% du PIB, soit un plus haut niveau historique :

Un second indicateur annonce une dégradation des comptes publics, il s’agit du déficit public. Celui-ci s’élevait pour 2013 à 4,3% du PIB. Cet indicateur, plus suivi, est celui sur lequel la Commission européenne demande le plus de garanties. Non seulement, le seuil de 3,0% (imposé par les traités) n’a pas été respecté (comme chaque année depuis 2008), mais la prévision de 4,1% faite durant l’automne par Bercy s’est avérée erronée. Bercy devrait transmettre des prévisions actualisées pour les années 2014 à 2017 la semaine du 22 avril à la commission des finances de l’Assemblée nationale, puis la semaine suivante au Parlement et à la Commission européenne. Celles-ci sont particulièrement attendues à Bruxelles, qui anticipait (avant même les publications de l’INSEE) un déficit de 4,0% pour 2014 (contre 3,6% pour Bercy). Il s’agissait de la 39ème année consécutive de déficit, le dernier budget à l’équilibre remontant à 1974 :

J’avais parlé dans un article récent du sénateur socialiste de la Nièvre Gaëtan Gorce. Pour ce dernier, François Hollande n’avait « ni les moyens » ni « la volonté de dégager 50 milliards d’économies supplémentaires » et ses annonces étaient un « leurre destiné à enfumer » la Commission européenne. Celui-ci avait raison, si ce n’est que la Commission européenne n’est plus dupe (l’a-t-elle d’ailleurs jamais été ?). J’évoquais également la possibilité d’un durcissement de ton de la Commission qui pourrait tout de même finir par s’impatienter. Il semblerait qu’un tel infléchissement ait débuté.

À l’annonce des déficits, Simon O'Connor (porte-parole du commissaire aux Affaires économiques Olli Rehn) a ainsi reconnu que « ce n'[était] pas une très grande surprise » et a exhorté le gouvernement français à prendre des « mesures supplémentaires » dans le programme de stabilité qu'il doit présenter d'ici à fin avril. Les dirigeants européens semblent aussi s’agacer de ces reports répétés. Il faut dire que ceux-ci se multiplient : en 2008 Sarkozy avait déjà obtenu un délai alors que François Hollande avait promis en 2012 un retour sous les 3,0% pour 2013... Olli Rehn, a également proposé de « rafraîchir la mémoire » du gouvernement français qui « a déjà profité, dans le cadre de la procédure pour déficit excessif, de deux reports de calendrier ». Jeroen Dijsselbloem (président de l’Eurogroupe) et Mario Draghi (président de la Banque centrale européenne) sont sur la même ligne. Pour le premier, « la France s’est déjà vu accorder plus de temps » et « doit remplir ses obligations et mener les réformes qu’elle s’est engagée à réaliser », alors que pour le second « les États européens ne devraient pas se départir des efforts de consolidation. »

Pourtant les dirigeants français continuent à ignorer les mises en garde en continuant à jouer sur l’opposition factice entre austérité et croissance. Ainsi, pour François Hollande, « il ne s'agit pas de faire des économies pour faire des économies. Il ne peut être question de fragiliser la croissance qui repart. » Pour Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, « il ne s’agit pas de ne pas se moderniser ou de ne pas assainir, mais les conditions de la remise en place ne doivent pas tuer l’objectif ». Le nouveau ministre des Finances, Michel Sapin, a déjà dit vouloir discuter du « rythme » de réduction du déficit. Dans un langage technocratique il a déclaré sur France Inter que si ce « cap » n'est pas abandonné, « c'est le chemin, c'est le rythme lui-même qui sera discuté dans un intérêt commun ». Le président français et le gouvernement réussissent à faire consensus contre eux et ne pourront même plus compter sur la complicité du nouveau premier ministre italien, Matteo Renzi. Celui-ci avait beau parler de « pacte de stupidité » à la place de « pacte de stabilité », le déficit public italien est revenu sous les 3,0% dès 2013 (2,8%).

Le gouvernement s’est donc tourné vers son partenaire allemand pour plaider sa cause et Michel Sapin a ainsi réservé sa première visite à l’étranger à son homologue allemand Wolfgang Schäuble. La tâche s’annonce donc ardue pour Michel Sapin et le gouvernement français qui n’affichent aucun effort réel pour faire repasser le déficit budgétaire sous les 3,0%. Pourtant l’indulgence de la Commission européenne envers le laxisme budgétaire français semble arriver à son terme. La proximité des élections européennes (le 25 mai en France), qui devraient voir de fortes poussées des partis eurosceptiques, empêche pour l’instant un durcissement trop marqué des positions, mais la période de grâce devrait très bientôt toucher à sa fin.

Publié initialement sur 24hGold

samedi 5 avril 2014

Flat tax : impossible en France ?

La deuxième des dix propositions du Manifeste du parti communiste, publié en 1848, était d’introduire un « impôt fortement progressif ». Marx et Engels espéraient ainsi que « le prolétariat [utiliserait] sa suprématie politique pour retirer, par étapes, tout le capital aux bourgeois, pour centraliser tous les moyens de production dans les mains de l'État ». S’opposer à une proposition du parti communiste suffit-il pour qualifier quelqu’un comme libéral ? À l’évidence, non. Il est donc assez étonnant qu’en France toute personne s’opposant à la progressivité de l’impôt et proposant d’introduire la flax tax soit immédiatement taxée d’« ultralibéralisme », ce qui tue le débat dans l’oeuf.

La flat tax désigne un impôt proportionnel. Il est le plus souvent employé quand on parle d’impôts sur les revenus des particuliers. De nombreux États (et micro-états) ont adopté ce système, mais le plus souvent avec un abattement (le taux fixe n’est appliqué qu’au-delà d’un certain seuil). On peut y trouver 8 États membres de l’Union européenne, dont 4 de la zone euro :



(1) Selon la municipalité
(2) 2,5% zakât (citoyens d'un pays du Conseil de coopération du Golfe)
20% impôt sur le revenu (étrangers)
Sources : Wikipedia (français et anglais) et Article

Le système de flat tax est utilisé en opposition à un système à taux progressifs, qui est actuellement en vigueur en France :
Source : Minefi

Il est à noter qu’il y a en plus une contribution exceptionnelle de 3% pour la partie du revenu fiscal de référence comprise entre 250 001 € et 500 000 €, et de 4% pour la partie supérieure à 500 000 €. Le taux marginal d’imposition réel est donc plutôt de 49%.

Bien entendu, un impôt progressif faible avec une tranche marginale peu élevée serait préférable à une flat tax dont le taux fixe serait plus élevé que ledit taux marginal. Mais on a du mal à imaginer une telle situation, pour peu qu’il n’y ait pas d’abattement et que chacun contribue à l’impôt sur les revenus, ce qui n’est justement pas le cas en France pour une petite moitié des contribuables (la proportion était plus importante les années passées). En effet, une augmentation de l’imposition qui s’appliquerait à chacun serait nécessairement moins populaire que si elle ne s’appliquait qu’aux ‘riches’.
Barthélémy de Laffemas, conseiller de Sully et de Henri IV, s’opposait à cette progressivité des taux par une formule devenue célèbre : « les hauts taux tuent les totaux ». Mais celui-ci était tout sauf libéral et ne manifestait pas là sa sympathie envers le contribuable. En effet, il voulait simplement maximiser les recettes et constatait qu’avec des niveaux élevés les plus riches payaient des conseillers pour mettre en place des stratagèmes de diminution et d’évitement de l’impôt. Comme l’économiste Arthur Laffer l’a théorisé plus tard avec sa courbe, au-delà d’un certain taux, le produit diminue. Le gouvernement français l’a d’ailleurs expérimenté très récemment puisque ses augmentations d’impôts ont débouché en 2013 sur non pas sur 10 milliards d’euros d’augmentation des recettes fiscales, mais sur 13 milliards d’euros de diminution.

Des taux prohibitifs pourraient être évités en élargissant l’assiette d’imposition et en supprimant les crédits d’impôt. Le produit actuel de l’impôt sur le revenu en France pourrait ainsi être obtenu avec un taux d’à peine 4% du revenu disponible brut [1], ce dernier s’élevant à 1 338 milliards d’euros en 2013 :

Mais la réalité est bien évidemment plus compliquée que cette simple règle de trois. Ramener l’imposition à de tels niveaux encouragerait l’activité et inciterait les citoyens à moins frauder. L’effet Laffer, évoqué précédemment, permettrait cette fois d’avoir une recette bien supérieure à celle actuelle. Le taux d’imposition pourrait même aisément être fixé entre 10% et 15%, en échange bien entendu de la suppression de nombreux autres impôts. De plus, ce taux unique permettrait une retenue à la source de l’impôt sur le revenu. Ces simplifications amélioreraient grandement le casse-tête bureaucratique actuel et seraient génératrices de croissance. Il resterait bien entendu les cotisations sociales (dont le poids est loin d’être négligeable), mais celles-ci pourraient être rendues aux salariés dans le cadre d’une autre réforme d’envergure, la mise en place du salaire complet.

[1] INSEE : Le revenu disponible d'un ménage comprend les revenus d'activité, les revenus du patrimoine, les transferts en provenance d'autres ménages et les prestations sociales (y compris les pensions de retraite et les indemnités de chômage), nets des impôts directs. Quatre impôts directs sont généralement pris en compte : l'impôt sur le revenu, la taxe d'habitation et les contributions sociales généralisées (CSG) et contribution à la réduction de la dette sociale (CRDS).

Publié initialement sur 24hGold