samedi 19 janvier 2013

Les inégalités : des indicateurs trompeurs


De nombreux articles et livres fleurissent pour nous démontrer que les inégalités s’accroissent en France et dans le monde. Le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz publiait ainsi récemment un livre intitulé Le Prix de l’inégalité. Ces publications rencontrent traditionnellement un bon accueil dans notre pays car les français se sentent très concernés par ces problématiques. L’égalité est en effet, avec la liberté et la fraternité, l’un des trois piliers de la devise républicaine : il serait donc naturel de lutter contre les inégalités.

Ce serait faire là une terrible confusion et manquer l’ambiguïté qui existe dans le terme d’égalité, dont jouent ceux qui poussent à toujours plus de redistribution. Référons-nous à la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. L’article 1 stipule que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » alors que l’article 2 rappelle que le but de toute association politique doit être « la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme », identifiés comme étant « la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression ». Selon l’article 1, l’égalité est donc bien celle des droits, pas celle des résultats. La loi doit donc être la même pour tous et il ne doit pas exister de passe-droit. L’égalité des revenus et des possessions est même indirectement exclue par l’article 2 puisque celle-ci permet la conservation de la propriété.

Ceci étant posé, examinons tout de même ces « inégalités ». Il existe de nombreux indicateurs statistiques tentant de mesurer les inégalités mais deux d’entre eux sont couramment utilisés : le rapport inter-décile et l’indice de Gini. Le premier consiste à faire le rapport entre le neuvième et le premier décile [1] : plus ce ratio est élevé, plus l’inégalité des revenus est importante. Le second est issu d’une formule plus complexe mesurant les écarts par rapport au revenu moyen. L’indice est compris entre 0 et 1, 0 correspondant à l’égalité parfaite et 1 à la situation où tous les revenus seraient gagnés par un seul individu.

Notons d’abord que contrairement aux idées reçues et malgré les quelques rémunérations exorbitantes dont peuvent bénéficier certains sportifs, chanteurs, acteurs ou patron du CAC40 faisant les gros titres des journaux, les inégalités de revenus en France sont globalement stables depuis 30 ans et largement en baisse par rapport aux années 1970 :
 
Source : INSEE

Soulignons cependant que ces indicateurs présentent des faiblesse presque insurmontables car ils mesurent des groupes qui ne sont pas statiques. Par exemple, dans le cas du rapport inter-décile, la composition des déciles varie d’une année l’autre. Ainsi, imaginons la situation suivante. À un instant donné le ratio inter-décile est élevé, signe de fortes inégalités. Quelques années plus tard, on mesure de nouveau D1 et D9 : ils sont inchangés (ou affichent le même taux de progression). Quand on regarde ce que sont devenus les individus composant le premier décile à l’origine, on s’aperçoit qu’ils sont désormais tous dans le dernier décile, et vice et versa. Et pourtant l’indicateur statistique conclura à des inégalités importantes et constantes ! De la même manière, si la hiérarchie des revenus était inversée en conservant les rapports d’ordre de grandeur, l’indice de Gini demeurerait inchangé et conclurait de manière similaire à des inégalités fortes et constantes.

Évidemment, ce sont deux situations extrêmes qui n’ont aucune chance de se produire, mais cette mobilité est loin d’être négligeable. On apprend par exemple ici que les revenus moyens des américains qui se situaient dans le plus bas quintile en 1996 avaient augmenté de 91% en 2005, mais qu’en revanche ceux du premier percentile – c’est-à-dire les 1% ayant les revenus les plus élevés – avaient diminué de 26%. En outre, plus de la moitié de ces derniers ne figuraient plus dans le premier percentile en 2005.

Une autre étude de l’Université du Michigan a démontré que seulement 5% des individus situés dans le cinquième quintile des revenus (mesurant les revenus les plus faibles) en 1975 y était encore en 1991, alors que 29% d’entre eux avaient atteint le premier quintile à cette date. Plus de la moitié des individus du dernier quintile en 1975 avaient été dans le premier quintile pendant au moins une année entre 1975 et 1991.

Conclusion similaire dans cet autre article : une première étude montre que 86% des américains les plus pauvres en 1979 ne le sont plus neuf années plus tard. Une seconde étude, portant sur une durée un peu plus longue (de 1975 à 1991) conclut à 95% de personnes sortant des 20% aux revenus les plus faibles.

On observe le même phénomène quand on tente d’observer les inégalités de revenus non plus entre les individus mais entre les différents peuples. Le rapport mondial sur le développement humain 2000/2001 préconisait ainsi une comparaison entre les 20 pays les plus riches et les 20 pays les plus pauvres, et ce ratio était passé de 23 en 1960 à 39 en 2000. Toutefois, en effectuant le calcul sur le même ensemble de pays (c’est-à-dire en conservant la répartition des pays les plus riches et les plus pauvres en 1960), un résultat radicalement opposé était observé puisque le ratio diminuait à 9,5.

Le débat sur les inégalités est donc largement surfait, biaisé, et se réalise de plus à l’aide d’indicateurs à la pertinence largement discutable.

[1] Le premier décile (noté généralement D1) est le salaire au-dessous duquel se situent 10 % des salaires. Le neuvième décile (noté généralement D9) est le salaire au-dessous duquel se situent 90 % des salaires.
[2] Indice de Gini : G = 1 - 2B

Publié initialement par 24hGold

samedi 12 janvier 2013

Les systèmes de retraite

Le Conseil d’orientation des retraites (COR) a publié le 19 décembre 2012 son 11ème rapport. Celui-ci dresse un état des lieux de notre système de retraite et effectue différentes projections sur ses besoins de financement jusqu’à l’horizon 2060. Il devrait également servir de base de discussion entre les partenaires sociaux dès début 2013.

C’est l’occasion de faire un point sur les différents modes de fonctionnement des systèmes de retraite qui peuvent exister et de voir quels pourraient être les compléments ou les alternatives au modèle français qui semble à bout de souffle. Évidemment, ces systèmes ne s’excluent pas l’un l’autre, c’est-à-dire qu’ils peuvent coexister et s’additionner dans un même pays.

Les systèmes de retraite peuvent d’abord se décomposer en deux grandes familles : il s’agit de la répartition et de la capitalisation.

Dans un système de retraite par répartition, les actifs payent des cotisations qui sont redistribuées aux retraités sous forme de prestations. Par son fonctionnement, la retraite par répartition peut donc être considérée comme un système pyramidal de type Ponzi-Madoff. Le cotisant d’aujourd’hui n’a aucun droit réel et dépend entièrement des générations futures et de leur capacité à payer.

À l’inverse, la retraite par capitalisation consiste en un placement de l’épargne du cotisant dans des fonds investis sur le long terme, ce qui est d’ailleurs très bénéfique pour l’économie. Les fonds placés peuvent rester propriété des déposants ou être collectivisés. Ils sont investis dans différentes classes d’actifs comme les actions, les obligations, l’immobiliers, les matières premières (par exemple l’or) etc.

La retraite, qu’elle soit par répartition ou par capitalisation, peut être à cotisation définie ou à prestation définie.

Un régime à cotisation définie est par nature équilibré : les pensionnés se partagent les cotisations des actifs. Dans un système par répartition, les retraités se partagent les cotisations annuelles. Dans un système par capitalisation, ils sont rémunérés par des fonds alimentés des cotisations de l’année en cours et des années antérieures.

Dans un régime à prestations définies, les cotisants acquièrent des droits à des prestations qui leur sont versées indépendamment de l’équilibre financier du régime, le déficit étant le plus souvent comblé par le budget étatique ou par la dette sociale.

Le régime français de retraites actuel est un système par répartition à prestations définies. Des sociétés de secours mutuels furent développées en France dès le début du 19ème siècle pour protéger les ouvriers, mais la réglementation contraignante a longtemps entravé le développement de ces dernières qui finissent par voir leurs fonds siphonnés par le régime de Vichy. La répartition est en effet instaurée le 15 mars 1941 par René Belin, ministre du Travail de Pétain et intègre la Sécurité sociale en 1945. Les dépenses de retraites sont croissantes depuis de nombreuses années, même si le COR pronostique une stabilisation et même une légère régression à moyen-long terme.





 Frédéric Bastiat avait averti en son temps des dangers d’une mutualisation excessive associée à une déresponsabilisation croissante [1] :

« J'ai vu surgir spontanément des sociétés de secours mutuel, il y a plus de vingt-cinq ans, parmi les ouvriers et les artisans les plus dénués, dans les villages les plus pauvres du département des Landes [...] Dans toutes les localités où elles existent, elles ont fait un bien immense [...]

Leur écueil naturel est dans le déplacement de la Responsabilité. Ce n'est jamais sans créer pour l'avenir de grands dangers et de grandes difficultés qu'on soustrait l'individu aux conséquences de ses propres actes. »

Le système déresponsabilisant de la répartition associé à son fonctionnement par prestations définies a inévitablement abouti à un déséquilibre financier. Les difficultés de gestion du système ont été accentuées par la multiplicité des régimes existants, chacun tirant la couverture à soi et essayant de faire porter les efforts financiers sur les autres. Les dernières simulations du COR ont ainsi pris en compte 33 des principaux régimes de retraite obligatoires (de base et complémentaires) :



 Un rééquilibrage du système peut se réaliser en jouant sur trois paramètres. On peut d’abord allonger la durée de cotisation (reculer l’âge de départ à la retraite), ce qui permet à la fois d’augmenter le volume de cotisations et de diminuer la masse des pensions. On peut ensuite accroître les versements de cotisations en augmentant le taux de cotisation. Enfin, une diminution des pensions versées peut s’effectuer en limitant ou gelant les revalorisations des retraites. Évidemment, il existe une quatrième piste qui consiste à ne pas avoir un système équilibré, et donc à devoir recourir à l’impôt et à la dette pour verser les retraites. Mais il est difficile de déterminer précisément l’ampleur de cette subvention publique dans la mesure où les déséquilibres des retraites des agents de l’État peuvent être compensés par une augmentation de la cotisation employeur, ce dernier étant …l’État.

Pour assurer sa pérennité, le système français a besoin de trouver un équilibre financier, ce qui nécessitera des réformes courageuses. Il faudra notamment introduire, le plus tôt possible, la retraite individuelle par capitalisation et remettre à plat le système par répartition. S’inspirant du modèle suédois, il devra être transformé en un système unique par points, fusionnant tous les régimes, et à cotisations définies.

[1] Les Harmonies Économiques - 1850

Publié initialement par 24hGold