samedi 19 octobre 2013

Budget 2014 : pas de pause dans le matraquage fiscal

Décidément, ceux qui nous dirigent semblent avoir de la peine à savoir où ils vont, ce qui n’est pas pour nous rassurer. Après de nombreux cafouillages, comme celui sur la taxe à 75%, est intervenu en cette rentrée 2013 l’imbroglio de la « pause fiscale ». Promise par François Hollande pour 2014, elle est transformée en « ralentissement fiscal » par le Premier Ministre, la pause étant finalement reportée à 2015. Mais la porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem, a ‘clarifié’ la situation (qualifiée de ‘boulette’ par le chef de la diplomatie Laurent Fabius) en estimant que le ralentissement était tellement marqué (les prélèvements obligatoires n’augmentant que de 0,1 point) qu’il s’agissait en fait bien d’une pause.

En effet, le gouvernement commence à avoir des remontées du terrain indiquant un ras-le-bol fiscal de plus en plus marqué. Cette situation est d’autant plus risquée pour la gauche que deux élections se profilent en 2014 : les municipales en mars puis les européennes en mai. L’année 2015 ne sera pas plus calme avec les élections départementales (nouveau nom des cantonales) suivies des régionales. Et chaque élection partielle donne lieu à une défaite cuisante de la gauche. L’exécutif essaye donc autant que faire se peut d’éviter le sujet. Pour Pierre Moscovici : « ne parlons pas que des impôts ! »

Difficile de suivre ce conseil quand on regarde le budget 2014 dans lequel les ménages ne sont pas épargnés (plus de 10 milliards d’euros) :


Le gouvernement tente donc d’adoucir son image. Il a ainsi par exemple décidé, après deux ans de gel, de revaloriser le barème de l’impôt sur le revenu. La mesure est avant tout symbolique car son  coût est limité (moins de 200 millions d’euros), mais elle devrait bénéficier à environ 7 millions de contribuables (135 000 ménages devenant non imposables). Il a en revanche été beaucoup plus discret sur certaines augmentations (+12,7% pour la taxe sur les billets d'avion et +2€ pour la contribution à l'audiovisuel public) et baisses de subventions (aides personnelles au logement, frais de scolarité, fiscalisation des majorations de pension pour les retraités…).

Les prélèvements obligatoires vont donc sensiblement augmenter. À 46,0% du PIB en 2013, ils atteignent même un niveau historique. François Hollande avait beau déclarer en septembre 2010 qu’« au-dessus de 45% du PIB, le caractère insupportable de l’impôt peut se poser », ce seuil aura bien été franchi sous son mandat.
L’INSEE définit les prélèvements obligatoires comme les impôts et cotisations sociales effectives reçues par les administrations publiques et les institutions européennes.
Voici leur détail pour la France en 2012 :


Remarquons que les prélèvements obligatoires ne représentent qu’une partie [1], certes importante, des recettes fiscales. Ainsi, les recettes publiques totales françaises s’élevaient à 51,9% en 2012 alors que les prélèvements obligatoires atteignaient 45,0%.
Toutefois, l’évolution des prélèvements obligatoires est assez proche de celle des recettes publiques (plus pertinentes pour les comparaisons internationales) :
Le gouvernement multiplie les mesures pour raboter des niches fiscales ou augmenter les niveaux des taux d’imposition. La « pause fiscale » décrétée par le gouvernement est non seulement illusoire, mais la pression fiscale est à un niveau historiquement élevé.

[1] Pour plus de détail sur les prélèvements obligatoires, se référer aux annexes 1 et 2 du « rapport sur les prélèvements obligatoires et leur évolution » 2013.
À noter en particulier que :
« Le caractère obligatoire des versements ne procède pas d’un critère juridique mais d’un double critère économique : absence de choix du montant et des conditions de versement, inexistence de contrepartie immédiate) »
« Certains prélèvements ne sont pas considérés comme obligatoires car ils correspondent à une décision considérée comme « volontaire » de la part de celui qui les paie, ou sont la contrepartie d’un service rendu (les amendes non fiscales, les droits de timbre sur les permis de conduire, les passeports, les cartes grises…). »
Cela permet par exemple d’exclure la redevance télévision ou la taxe d'enlèvement des ordures ménagères du périmètre des prélèvements obligatoires.

Publié initialement sur 24hGold

jeudi 17 octobre 2013

Budget 2014 : toujours pas de baisse des dépenses

Le mercredi 25 septembre, le projet de loi de finances pour 2014 (PLF 2014) était présenté en conseil des ministres à Jean-Marc Ayrault par Pierre Moscovici (ministre de l’économie et des finances) et Bernard Cazeneuve (ministre délégué auprès du ministre de l’économie et des finances, chargé du budget).

Le gouvernement avait alors auparavant largement communiqué sur un « effort de redressement » de 18 milliards d’euros, dont 15 milliards d’économies nouvelles et 3 milliards de recettes. Les 15 milliards d’euros d’économies étaient censés être répartis à hauteur de 9 milliards pour l’État et de 6 milliards pour les régimes sociaux (5,8 milliards finalement).

Pour l’État, les 9 milliards d’euros d’économies se répartissent ainsi :
  • 3,3 milliards sur les concours aux opérateurs, les collectivités locales et le budget européen
  • 2,6 milliards sur les dépenses de fonctionnement
  • 2,6 milliards sur les dépenses d’investissement et d’interventions
  • 0,5 milliard sur les intérêts de la dette souveraine
Les 3 milliards d’euros de recettes supplémentaires seraient obtenus pour 1 milliard par des impôts nouveaux et pour 2 milliards par un renforcement de la lutte contre la fraude et l’optimisation fiscale. Malheureusement, ce calcul semble ignorer totalement les 10 milliards d’euros de hausse pesant sur les ménages l’an prochain :


En examinant le PLF 2014, on se rend compte qu’il n’y aura pas de baisse des dépenses, contrairement à ce qui peut être compris et relaté dans les médias. Quand le gouvernement parle d’économies, il compare l’évolution des dépenses constatée par rapport à l’évolution « tendancielle ». Si les dépenses augmentent moins que prévu, alors l’écart constaté est considéré comme une économie. La dépense publique augmentera en fait de 5 milliards d’euros en volume, au lieu de 20 milliards si aucune mesure d’économie n’était prise. Il y aura donc en fait une augmentation de 0,5% en volume, c’est-à-dire en plus de l’inflation (prévue à 1,3% en 2014), ce qui sera certes un peu moins que les +2% constatés en moyenne ces dix dernières années. Pierre Moscovici ne manque d’ailleurs pas de souligner que « cela revient à diviser par quatre le rythme d’évolution de la dépense publique ! »

Le phénomène est identique pour l’État, pour qui 9 milliards d’euros d’économies sont annoncés. Bercy estimant pour 2014 l'évolution tendancielle des dépenses de l'État (hors Sécurité sociale) à un peu plus de 7 milliards d’euros, la baisse ‘réelle’ s’établit ainsi en 2014 à 1,5 milliard. Ce qui est « inédit sous la Ve République », ont insisté Pierre Moscovici et Bernard Cazeneuve.
Mais le ministère des finances a ici utilisé une autre astuce pour gonfler artificiellement l’économie : il a surestimé la hausse tendancielle. Ainsi, Bercy estime pour 2014 la hausse tendancielle à 7 milliards d'euros, alors que la Cour des comptes l'évalue à 6 milliards. L'an dernier, l’écart était encore plus important (10 milliards d'euros pour Bercy contre 7 milliards pour la Cour des comptes).

Par ailleurs, le gouvernement communique sur une évolution des dépenses hors charges de la dette et pensions. Si l’on veut mesurer l’effort de maîtrise des dépenses du gouvernement, on peut comprendre la logique de l’exclusion de l’assiette de la charge de la dette (le gouvernement n’a aucun pouvoir pour fixer directement les taux d’emprunt). Mais à ce moment là, pourquoi inclure une baisse de cette même charge de la dette dans le périmètre des économies sur la dépense publique (0,5 milliard d’euros) ?
Il est également critiquable de traiter les pensions comme les intérêts de la dette, c’est-à-dire comme si le gouvernement n’avait aucune prise dessus. En effet, il y a eu récemment une (mini-)réforme des retraites pour laquelle le gouvernement avait l’option de ralentir la revalorisation des pensions. Il n’a certes pas retenu cette option, mais il avait la possibilité de le faire.

De plus, la baisse de 1,5 milliard apparaît comme fictive quand on étudie en détail le PLF 2014 :

BG = Budget Général
PSR : prélèvements sur recettes

On s’aperçoit en effet que ladite baisse est obtenue en excluant les 12 milliards d’euros du programme d’investissements d’avenir (PIA).

Il est également à noter que 6,7 milliards d'euros d’événements exceptionnels de 2013 ont disparu : baisse des dépenses du Mécanisme Européen de Stabilité (MES) pour 3,3 milliards, contrecoup de 1,6 milliard des dépenses pour la Banque Européenne d’Investissement (BEI) et 1,8 milliard suite à la hausse exceptionnelle du prélèvement sur recettes au profit de l’Union Européenne. Là aussi, on peut comprendre la logique de l’exclusion des éléments exceptionnels, mais quand il y en a chaque année, et qui plus est quand leur montant progresse, il serait plus logique de les prendre en compte. Et même en admettant un instant que l’on puisse les exclure, pourquoi alors comparer 2013 avec évènements exceptionnels à 2014 sans évènement exceptionnel ?

Le budget 2014 ne laisse encore apparaître aucune réelle réduction des dépenses. Le rythme de l’augmentation diminue tout de même sensiblement, mais cela ressemble plus à un choix subi pour cause de croissance anémique que délibéré.

Les artifices utilisés sont nombreux pour tenter de montrer la réalité du sérieux budgétaire. Ces efforts sont sans doute destinés à la Commission européenne, qui a donné récemment au gouvernement français un nouveau sursis de deux ans pour faire passer le déficit public sous la barre des 3%. Apparemment ces efforts semblent avoir porté leurs fruits puisque celle-ci a salué le sérieux budgétaire de la France. J’avoue pour ma part être beaucoup moins convaincu que Bruxelles.

Publié initialement sur 24hGold

Réforme des retraites : encore raté

Ce 10 septembre se déroulait à Paris la manifestation contre la réforme des retraites. Pourtant, difficile d’utiliser le terme de réforme puisqu’il s’agit plutôt d’ajustements très limités. Fidèle à son habitude, la CGT avait appelé à manifester avant même de négocier ou de connaître le contenu de la réforme. Mais cette dernière peine à mobiliser contre elle du fait de son aspect consensuel. La CGT, rejointe par FO, FSU, Solidaires et l’UNEF, a donc souhaité élargir le sujet de sa manifestation à d’autres sujets comme l’emploi et les salaires.

Le projet de réforme devrait être présenté au Parlement au début de la session ordinaire, qui débutera le 1er octobre. Si les derniers arbitrages n’ont pas encore été finalisés, les grandes lignes sont connues.

Sans surprise, le tabou de l'âge légal de la retraite ne tombera pas et ne devrait pas progresser au-delà de 62 ans :


L'UMP et le patronat estiment pourtant que les régimes de retraite ne peuvent être équilibrés sans jouer sur ce levier.

Le mode de calcul de la retraite des fonctionnaires sera également inchangé. La piste du rapport Moreau n’a donc pas été retenue et les retraites resteront calculées sur la base des six derniers mois de salaire (sans les primes) pour les fonctionnaires au lieu des 25 meilleures années dans le secteur privé.

L’opportunité de créer un régime de retraite par points a été écartée. Cette réforme aurait pourtant bénéficié d’un large soutien transpartisan chez les électeurs de gauche comme de droite et était même réclamée par la CFDT. Le système par points, qui a l’avantage de la transparence pour les cotisants, a sans doute été jugé trop complexe à mettre en place.

Les pensions des retraités vont aussi être protégées par François Hollande. Pas question d’une revalorisation minorée des pensions, comme pour les retraites complémentaires. Dans ce dernier cas, les pensions Arrco et Agirc n’ont progressé au 1er avril 2013 que de respectivement 0,8% 0,5%. Les deux années suivantes, la revalorisation se fera sur la base d’une inflation minorée de 1,0% (la valeur du point ne pourra pas diminuer en valeur absolue). Mais le Président a tenté de rassurer les Français : « je veux dire aux retraités qu’on ne touchera pas à leurs retraites ».

Il y aura tout de même quelques ajustements dans cette réforme. La durée de cotisation nécessaire pour toucher une retraite sans décote va continuer à progresser. La loi Fillon de 2003 a programmé une hausse de 41 annuités maintenant jusqu’à 41 année ¾ en 2020 :


Le gouvernement compte poursuivre l'allongement au-delà de 2020, au rythme d’un trimestre tous les deux ans. La durée de cotisation nécessaire pour une pension à taux plein augmenterait ainsi à 42 annuités vers 2024 et à 43 ans vers 2035. L’impact de ce point sur les déficits d’ici à 2020 est bien évidemment nul. Pourtant, les déficits risquent de se creuser dangereusement d’ici là :


Les cotisations vont une nouvelle fois être relevées, sans que l’on sache encore exactement dans quelle proportion. Cette solution a l’avantage de pouvoir être introduite progressivement mais va encore augmenter le coût du travail. Une hausse de 0,5 point rapporterait quelque 6 milliards d’euros. Cette hausse va donc s’additionner à celle des retraites complémentaire. Les cotisations pour ces dernières augmenteront en effet de 0,1% au 1er janvier 2014 et au 1er janvier 2015 (40% à la charge du salarié, 60% pour l’employeur).

La seule petite surprise de cette réforme concerne le non alignement du taux de CSG pour les retraités. Les pensions de retraite bénéficient d’un taux favorable par rapport à celui qui pèse sur les revenus du travail qui est de 7,5 %. En effet, le taux pour les retraités, qui est fonction du revenu fiscal de référence, ne peut excéder 6,6% (il existe deux autres tranches à 0% et 3,8%). En fait, à défaut d’alignement, tous les taux devraient progresser, l’écart étant maintenu. Pour un conseiller gouvernemental, « harmoniser les différents taux en plus de l'augmentation, ce serait la double peine pour les retraités ».

Le gouvernement a également ouvert un chantier sur la pénibilité mais a repoussé celui sur les droits familiaux. Cette dernière modification, telle qu’elle était initialement envisagée, n’aurait touché que les futurs retraités et aurait consisté en une réduction des majorations de retraite de ceux qui ont eu au moins trois enfants. Cette remise en cause n’aurait concerné que les hommes (70% de la dépense actuellement) et aurait bénéficié aux femmes dès le premier enfant.

La montagne va donc accoucher d’une souris et le commissaire aux Affaires économiques de la Commission européenne, Olli Rehn, risque fortement d’être déçu. Rappelons qu’un délai de deux ans avait été accordé par la Commission à la France pour respecter la règle des 3% de déficit, en échange de réformes ambitieuse, notamment du système de retraites. Bien sûr il y avait peu d’illusions à se faire avec cette nouvelle réforme des retraites qui s’annonçait déjà très modeste d’après les premières pistes avancées par François Hollande. Mais cette réforme est particulièrement faible et, loin de rééquilibrer le régime, le risque est qu’elle ne puisse même pas ralentir sa dégradation. Les précédentes réformes, déjà bien insuffisantes, avaient été réalisées par la droite et avaient été en leur temps largement critiquées par la gauche. Les socialistes étaient donc particulièrement attendus au tournant. Le moins que l’on puisse écrire est donc qu’ils auront largement échoué.

Publié initialement sur 24hGold