jeudi 6 mars 2014

Respect de la vie privée : uniquement pour les politiciens ?

Mardi le 14 janvier se déroulait à l’Élysée une conférence de presse, la troisième depuis le début de son mandat, durant laquelle François Hollande devait exposer les orientations politiques qui allaient guider le gouvernement. L’élément majeur de cette présentation devait être le pacte de responsabilité à destination des entreprises, censé relancer la croissance et faire baisser le chômage. Las, l’annonce fut largement parasitée par la révélation faite une semaine plutôt par le magasine people Closer de la relation que le président entretenait avec l’actrice Julie Gayet. Pour ne rien arranger, on apprenait dans la foulée que Valérie Trierweiler était hospitalisée, officiellement « pour se reposer » à cause d’un « énorme choc émotionnel ».

La liaison fut bien évidemment évoquée lors des questions des journalistes. Sur le statut du conjoint, François Hollande explique alors qu'« il n'y en a jamais eu », qu’ « il y a des usages, qui ont également concerné les femmes de [ses] prédécesseurs » et que « ce qui est essentiel pour [lui], c'est la transparence. Les moyens consacrés au conjoint doivent être connus, publiés, et les coûts doivent être les moins élevés possibles ».

L’un des journalistes l’interroge donc : « Valérie Trierweiler est-elle toujours, aujourd’hui, première dame de France ? »


François Hollande refuse alors de répondre à la question : « J’ai un principe, c’est que les affaires privées se traitent en privé, dans une intimité respectueuse de chacun ». Pourtant, en admettant la légitimité de la première dame de France à bénéficier de certains moyens financiers et avoir ses voyages payés par le contribuable, il est tout à fait naturel que ce dernier sache si la personne qui utilise ces moyens bénéficie réellement de ce statut. Le président rejette ainsi la transparence promise plus tôt.

Envolée également sa promesse d’exemplarité proférée dans sa fameuse tirade ‘Moi président’, lors du débat de l’entre deux tours de l’élection présidentielle avec Nicolas Sarkozy. Il avait alors déclaré : « moi, président de la République, je ferai en sorte que mon comportement soit à chaque instant exemplaire » (0’57).


De plus, les conséquences du statut réel de Mme Trierweiler pourraient être beaucoup plus importantes. Xavier Kemlin avait ainsi porté plainte contre celle-ci pour détournement de fonds publics. Le raisonnement est le suivant : soit François Hollande et Valérie Trierweiler ne sont pas concubins et les contribuables n’ont pas à la financer, soit ils le sont et alors ils auraient dû faire une déclaration commune à l’ISF.

Pourtant, François Hollande avait raison quand, lors de la révélation de sa relation avec Julie Gayet, il parlait du « respect de la vie privée auquel tout citoyen [a droit] ». Mais pourquoi ne l’a-t-il pas défendue plus tôt ? Par exemple, quand le consultant de la NSA Edward Snowden fit ses révélations sur le système PRISM qui permet aux agents américains de surveiller mondialement les données personnelles circulant sur Internet. Il était alors à la recherche d’un pays pouvant lui donner asile et se retrouva… en Russie. C’était là une bonne occasion pour le président français de défendre la vie privée. Non seulement il ne donna pas l’asile diplomatique à Edward Snowden, mais ce dernier fut indirectement à l’origine d’un incident diplomatique avec la Bolivie lorsque l’avion du président Morales fut interdit de survoler la France car suspecté d’abriter l’ex-consultant de la NSA.

Il faut dire que les témoignages de soutien à Edward Snowden ne furent pas légion parmi les dirigeants européens. Ainsi, pour Angela Merkel, il est nécessaire de « contrôler les télécommunications » pour se protéger des attaques terroristes et « le travail des services de renseignements dans des États démocratiques a toujours été indispensable, et le sera toujours, pour la protection du citoyen ». Évidemment, quand la chancelière allemande apprit fin octobre qu’elle-même était victime de l’espionnage de la NSA, sa réaction fut tout autre. Elle déclara d’abord dans un communiqué que « si de telles pratiques étaient confirmées, elle les désapprouverait catégoriquement et les considérerait comme totalement inacceptables ». Lors de son arrivée au sommet bruxellois suivant ces révélations, elle déclara que « l’espionnage entre amis, ça ne va pas du tout ».

Les autres dirigeants européens lui apportèrent lors de ce sommet un soutien sans faille. Pour le belge Elio Di Rupo, « nous ne pouvons pas accepter de qui que ce soit cet espionnage systématique et il faudra prendre des mesures », alors que selon l’entourage de François Hollande et d’Angela Merkel, ces derniers « sont tombés tous les deux d’accord pour dire que ces pratiques d’espionnage sont inacceptables ».

Cet intérêt soudain pour la vie privée ne fit hélas pas long feu du côté français. Le 10 décembre 2013, le gouvernement faisait passer dans l’article 20 de la loi de programmation militaire 2014-2019 un ensemble de mesures liberticides. Celles-ci permettent la capture en temps réel des communications, documents et informations (L246-1 et L246-3) transitant par les opérateurs, et ce, sans aucun contrôle judiciaire. Cette capture pourra de plus être réalisée par un ensemble élargi d’administrations, dont le ministère de l’Économie et du Budget (L246-2).

Ce texte a soulevé l’indignation de la plupart des acteurs du numérique. Pour Gilles Babinet, responsable des enjeux du numérique pour la France auprès de la Commission européenne, « cette loi va bien plus loin que ce que permet la loi américaine. Aux États-Unis, elle serait anticonstitutionnelle, car dans la Constitution américaine est inscrit le principe de la propriété privée et donc des correspondances ».

La notion de vie privée ne semble donc pouvoir s’appliquer que pour les dirigeants politiques et non pas au reste des citoyens. Les premiers vivent pourtant de l’argent de ces derniers, qui sont en droit d’attendre en retour un minimum de transparence. Non seulement les politiciens n’en font pas preuve, mais ils multiplient les mesures empiétant chaque jour un peu plus sur la vie privée des citoyens. Pour Thomas Jefferson, troisième président des États-Unis, « quand les citoyens craignent leur gouvernement, il y a tyrannie ; quand le gouvernement craint ses citoyens, il y a liberté ». Selon vous, dans laquelle des deux situations se trouve-t-on aujourd’hui ?

Publié initialement sur 24hGold