dimanche 30 septembre 2012

Commerce extérieur et croissance

Dans un article précédent, nous avons vu que la notion de balance commerciale était à prendre avec précautions. Son niveau et son évolution sur les 10 dernières années peuvent tout de même délivrer des informations intéressantes :

Les 10 balances commerciales les plus déficitaires

Source : WTO

Les 10 balances commerciales les plus excédentaires

Source : WTO

Le Japon qui affichait la deuxième balance commerciale excédentaire en 2001 est désormais dans le top 10 des déficitaires. La France, quasiment à l’équilibre en 2001, a désormais le 4ème déficit le plus élevé avec 118 milliards de dollars. Enfin, les balances commerciales se sont beaucoup creusées. Ainsi, le déficit commercial des seuls États-Unis en 2011 est proche de la somme de tous les déficits de 2001 additionnés (792 milliards de dollars) !

Le commerce extérieur délivre-t-il des informations économiques pertinentes ? Par exemple, existe-t-il un lien entre le commerce extérieur et la croissance ? Pour tenter de répondre à cette question, 4 indicateurs relatifs au commerce extérieur (dont la balance commerciale) ont été comparés à la croissance économique (moyenne sur les années 2007 à 2011, soit les cinq dernières années connues) :

  1. L’ouverture économique, qui peut se définir comme la somme des exportations et des importations divisée par le PIB
  2. La balance commerciale rapportée au PIB
  3. Les exportations rapportées au PIB
  4. Les importations rapportées au PIB

Les corrélations ont été testées sur les 27 pays de l’Union européenne et sur le sous-échantillon des 17 pays de la zone euro. Pour tenir compte de la différence de taille économique des pays concernés, chacun des pays a été pondéré par son PIB 2011. La corrélation de chacun des 4 indicateurs avec la croissance a été calculée et un test statistique de significativité [1] de cette corrélation effectué en calculant les p-value. La p-value correspond à la probabilité de commettre une erreur en concluant que la corrélation est significative. Traditionnellement un seuil de 5% est retenu, c’est-à-dire qu’avec une p-value inférieure à 5% la corrélation est considérée comme significative.
Voici les résultats obtenus :
Union Européenne

Source : Eurostat

Zone Euro

Source : Eurostat

Il apparaît qu’il n’y a pas de corrélation entre balance commerciale et croissance. Par contre, il existe une corrélation assez nette entre la croissance et les trois autres variables. Le ratio exportations sur PIB affiche les meilleurs résultats, devant l’ouverture économique et les importations.





La France, l’Espagne, l’Italie ou le Royaume-Uni se retrouvent aux alentours de 20%, c’est-à-dire un niveau significativement inférieur à celui des autres pays européens.

Dire que deux variables sont corrélées n’implique pas que l’on ait démontré un lien de causalité entre elles. Quand bien même une causalité aurait été démontrée sur les données passées, cela n’en aurait pas constitué une preuve qu’il en serait de même dans le futur. Néanmoins, ces corrélations significatives permettent d’avoir une forte présomption sur le fait que l’ouverture économique et la compétitivité à l’exportation sont des éléments susceptibles de favoriser la richesse des nations. Il est donc tout à fait pertinent de s’intéresser à une variable comme les exportations. On peut par exemple étudier les parts de marché dans les exportations et leur évolution.

Pour calculer une part de marché, il faut d’abord définir la taille du marché. Au niveau du commerce mondial, il faut donc déterminer quelles sont les zones d’échange. Par exemple doit-on considérer l’Union européenne comme un seul bloc ou additionner chacun des pays la composant ? La différence est de taille.

Dans le premier cas, le commerce mondial s’élevait en 2011 à 14 350 milliards de dollars, dans le second à 18 255 milliards de dollars, l’écart (3 905 milliards de dollars) correspondant donc au commerce intra-Union européenne. Il est à noter que, vue comme un seul bloc, l’Union européenne est le premier exportateur mondial avec 2 133 milliards de dollars d’exportations.


Source : WTO



La Chine, ‘seulement’ 6ème exportateur mondial en 2001, est numéro 1 (devant les États-Unis) depuis 2007. Les principaux pays européens ont tous perdu des parts de marché depuis 2001. La France, 4ème en 2001, est désormais 6ème avec une perte de 2 points de part de marché. Avec 3,3%, elle atteint son plus faible score depuis plus de 60 ans. Cet évènement est à rapprocher du dernier classement du Forum économique mondial de Davos, où la France sort pour la première fois en trente ans du top 20 (elle est 21ème). La France affiche ainsi la plus grosse perte en valeur absolue parmi les pays européens, et la deuxième plus grosse perte en valeur relative :



Le Royaume-Uni affiche la plus grosse perte relative et décroche nettement depuis 15 ans environ. Plus globalement, ces chiffres sont inquiétants pour la croissance future des pays de l’Union européenne. Toutefois ces baisses sont à relativiser avec la forte augmentation du commerce mondial :



Le commerce mondial a ainsi été multiplié par trois entre 2001 et 2011, alors que la France n’augmentait ses exportations que de 84% (de 323 à 596 milliards de dollars).

En conclusion, la balance commerciale se révèle être un indicateur non corrélé à la croissance, à l’inverse de l’ouverture économique et des niveaux d’exportations et d’importations. On peut donc estimer que les pays souffrant de problèmes de compétitivité ou adoptant des attitudes protectionnistes (donc limitant l’ouverture économique) risqueraient fort d’obtenir une croissance moindre.

[1] test de significativité de Spearman.

Publié initialement par 24hGold

dimanche 16 septembre 2012

Protectionnisme et balance commerciale

Jean-Marc Ayrault, estimant sans doute que ses objectifs de relance de la croissance, de baisse du chômage et d’équilibrage du budget n’étaient pas assez ambitieux, s’en est fixé un nouvel : celui de ramener à zéro le déficit de la balance commerciale de la France (hors facture énergétique) dans les cinq ans à venir.

Comme tout objectif, il convient d’abord de s’attarder sur la pertinence de l’indicateur. Dans le cas de la balance commerciale, le problème est justement que cet indicateur n’est absolument pas pertinent. Il faut de prime abord remarquer que le commerce extérieur n’est en fait qu’une convention. Comme le fait remarquer Ludwig von Mises [1], « le commerce extérieur ne diffère du commerce intérieur que dans la mesure où les biens et services sont échangés au travers des frontières séparant deux nations souveraines. ».

De plus, la dénomination même de déficit commercial est particulièrement trompeuse du fait de la connotation péjorative attachée au mot « déficit ». Chacun ressent intuitivement qu’il n’est pas bon d’être en déficit, et donc qu’avoir un déficit commercial est mauvais. Pourtant, à s’y pencher de plus près, on s’aperçoit qu’il n’en est rien. Supposons que je choisisse d’acheter un produit à l’étranger. Apparaîtra alors un déficit commercial de la France. Pourtant, cette opération n’aura fait que des gagnants : l’acheteur et le vendeur. En effet, dans tout libre échange les parties ne contractent que si elles trouvent cela plus avantageux que de ne pas le faire.

Comme souvent, Frédéric Bastiat fut celui qui analysa le mieux ces sophismes. Son article sur la balance du commerce [2] démontre admirablement l’absurdité du concept. Un commerçant bordelais exporte du vin pour un montant de 50 francs en Angleterre où il le vend pour un équivalent de 70 francs. Il convertit ceux-ci en houille, qu’il réexpédie en France et où il la vend pour 90 francs. L’habile commerçant a ainsi réalisé un bénéfice de 40 francs, quand on vient lui annoncer qu’il a généré un déficit commercial. Et si le bateau transportant le vin avait coulé, il aurait certes subit une perte mais aurait créé un excédent commercial !

D’un point de vue comptable, l’équilibrage de la balance commerciale ne peut se faire que par une augmentation des exportations (par gain de compétitivité des entreprises ou des subventions de celles-ci) ou une baisse des importations. Il est clair que c’est sur ce deuxième volet qu’il est plus aisé d’agir, comme l’a exprimé Arnaud Montebourg dans son plaidoyer pour un protectionnisme européen. Il n’y a en effet aucune raison pour que les entreprises françaises deviennent soudainement plus compétitives (surtout avec une fiscalité encore alourdie), et les subventions ne semblent pas faire partie des plans du gouvernement (surtout avec le déficit actuel).

Or, le philosophe Hans-Hermann Hoppe démontre avec pertinence  les effets néfastes du protectionnisme [3] : si le protectionnisme international pouvait rendre une nation entière prospère et forte, il devrait en être de même pour le protectionnisme régional et même individuel (chacun serait dans un état d'isolement autosuffisant). Dans ce cas plus personne ne serait au chômage, mais une telle "société de plein emploi" ne serait composée que de gens condamnés à la misère car obligés de tout produire eux-mêmes, c'est-à-dire pas grande chose voire pas de quoi survivre. 

Il est également à noter que la comptabilisation peut être trompeuse. Alain Madelin donne ainsi l’exemple de l’iPhone qui est comptabilisé 179$ dans les statistiques américaines des importations en provenance de Chine. En étudiant en détail le processus de fabrication on s’aperçoit que les composants proviennent de nombreux pays (dont les États-Unis), l’assemblage final en Chine ne représentant que 6,5$, soit 1,3% du prix de vente aux États-Unis !

Comme le constate Ludwig von Mises [4] : « Il est évidemment possible de protéger un producteur peu efficace contre la concurrence de collègues plus efficaces. Un tel privilège confère à celui qui en jouit les avantages que le marché ne fournit qu'à ceux qui parviennent le mieux à satisfaire les désirs des consommateurs. Mais c'est nécessairement au détriment de la satisfaction des consommateurs. ». De plus, comment ne pas voir qu’en donnant au législateur le pouvoir d’offrir des faveurs à certaines industries, c’est-à-dire en excluant la concurrence (au détriment du consommateur), le protectionnisme fait le lit de la corruption ?


[1] Ludwig von Mises, L’Action Humaine, Chapitre XXIV — Harmonie et conflit d'intérêts, 1/ L'origine première des profits et des pertes sur le marché, p.775
[2] Frédéric Bastiat, Tome quatrième - Sophismes économiques - Petits pamphlets, VI. Balance du commerce
[3] Hans-Hermann Hoppe, The Case for Free Trade and Restricted Immigration, Journal of Libertarian Studies 13:2 (Summer 1998) : 221-233
[4] Ludwig von Mises, L’Action Humaine, Chapitre XV — Le marché, 12/ L’individu et le marché, p.367

Publié initialement par 24hGold