vendredi 7 décembre 2012

L’endettement total

Le sujet de la dette est actuellement omniprésent dans les médias. Quand ceux-ci l’évoquent, ils parlent le plus souvent de la dette publique. Celle-ci, nous l’avons déjà vu dans un précédent article, comprend principalement la dette souveraine ainsi que celles des collectivités locales et des organismes de sécurité sociale. Mais ces organisations publiques ne sont évidemment pas les seules à emprunter. Pour définir la notion d’endettement total, on rajoute traditionnellement les dettes des agents non financiers. Ces derniers se répartissent de la manière suivante :

  • les ménages, constitués des particuliers, des entrepreneurs individuels et des institutions sans but lucratif au service des ménages (ISBLSM)
  • les sociétés non financières (SNF), privées et publiques

L’exercice qui consiste à sommer ces trois dettes permet de prendre la mesure du poids de l’endettement global dans les principaux pays développés et du fait qu’on approche probablement de sa limite.

Cela peut aussi sembler osé et critiquable de les rapprocher. On ne peut, en effet, pas les mettre sur un pied d’égalité car elles sont de nature différente. L’entreprise investit dans du matériel ou dans la recherche. Les particuliers vont s’endetter pour acquérir des biens de consommation ou leur résidence principale (ou un bien immobilier dont le loyer est destiné à assurer la retraite). Les administrations publiques, à l’inverse, s’endettent pour financer les dépenses courantes. Là où l’entreprise et les particuliers investissent pour améliorer leur rentabilité ou leur avenir, et donc créer des ressources supplémentaires les administrations publiques dépensent sur des critères politiques souvent éloignés de l’« intérêt général » (si cette notion peut avoir un sens), comme nous l’explique l’école des choix publics.

Donc ces trois dettes ne sont pas de même nature, mais pourtant leur agrégat fait tout de même sens car il ya des liens. L'État, pour payer ses dettes, va devoir piocher dans les poches des ménages et des entreprises, ce qui revient à leur transférer ses dettes. Il est donc tout à fait pertinent d’étudier l’endettement actuel de ces derniers, pour savoir s'ils seront capables de supporter ce surpoids, et dans quelle mesure.

De plus, il est également naturel de regarder les niveaux d’endettement parmi les principales puissances économiques du fait des relations qui peuvent exister entre elles. En effet, il n’y a pas besoin de beaucoup d’imagination pour émettre l’hypothèse de dettes souveraines grecques remboursées par les contribuables français ou allemands.

La photographie de la situation à la fin du deuxième trimestre 2012 est la suivante :




C’est en Allemagne et en France que les endettements totaux sont les plus faibles, ce qui tombe assez bien puisque les États allemands et français sont la pierre angulaire du dispositif de sauvetage de la zone euro (MES/FESF).

Si l’on regarde l’évolution sur les dix dernières années, on s’aperçoit que l’endettement total a explosé dans tous les pays (à l’exception de l’Allemagne), le record étant pour l’Espagne qui flirte avec les 100 points de PIB d’augmentation :


Source : Banque de France



Source : Banque de France

Lecture des tableaux : l’endettement des ménages français représentait 35,1% du PIB en 2002 et a progressé de 21,2 points de PIB ces 10 dernières années.

Sur l’exemple français, cette augmentation de l’endettement des ménages provient principalement de la progression des encours de crédits à l’habitat (de 337,1 à 861,6 milliards d’euros, soit de 22,3% à 43,1% du PIB), celle-ci trouvant pour origine l’augmentation (la bulle ?) de l’immobilier.

Une étude de McKinsey de janvier 2012 nous permettait d’obtenir les endettements des institutions financières. Bien que les données de McKinsey datent un peu et représentent la situation à la fin du deuxième trimestre 2011 (c’est-à-dire un an d’écart avec les chiffres de la Banque de France), on peut tout de même les intégrer et obtenir l’ordre de grandeur suivant :



Source : Banque de France, McKinsey, calcul de l’auteur pour l’endettement des sociétés financières de la zone euro.


Il est à noter également qu’à ces dettes explicites s’ajoute ce que l’on appelle les dettes implicites pour lesquelles il faut prendre en compte les obligations futures, par exemple pour les retraites. Et ces dernières sont considérables :



Notons aussi que la Cour des comptes s’inquiétait récemment du niveau de dettes garanties par l’État, qui pourrait « influencer négativement la perception qu’ont les investisseurs extérieurs de la solvabilité de la France ». Celles-ci s’élevaient en 2011 à 124 milliards d’euros. D’ailleurs, contrairement au FESF, les émissions du MES n'augmenteraient pas la dette publique des différents États contributeurs.

Il est donc apparu que la dette publique, si elle semblait à juste titre préoccupante pour beaucoup, n’était en fait que la face immergée de l’iceberg de la dette. Il ne s’agit évidemment pas de condamner le principe de la dette, lorsque celle-ci provient des agents non financiers. Mais le niveau actuellement atteint est pour le moins préoccupant. Si les administrations publiques sont les principales responsables de l’augmentation de l’endettement total, les agents non financiers y ont dans la plupart des cas contribué et risquent dans un futur proche d’être mis à contribution de manière plus importante pour porter ce fardeau. Or, les chiffres ci-dessus, laissent penser qu’ils pourraient bien ne pas être en mesure de le faire.

Publié initialement par 24hGold

lundi 3 décembre 2012

L’illusion de la baisse des dépenses commence à se dissiper



La baisse des dépenses de l’état français n’est qu’une illusion. C’est ce que nous dit une étude de l’IFRAP, reprise par Les Echos. Bien sûr il n’y a là rien de neuf sous le soleil et les lecteurs de Contrepoints par exemple auront déjà vu quelques articles relatant ce fait (ici, ou par exemple). Néanmoins, il faut tout de même se féliciter qu’un média mainstream comme Les Echos l’évoque, et l’étude apporte également quelques éléments nouveaux.
Même si le titre des Echos n’évoque qu’un débat (« Budget 2013 : la réalité des économies est contestée »), le contenu de l’article laisse peu de doute sur le fait que l’annonce de la baisse des dépenses n’était que de la poudre aux yeux.
L’étude de l’IFRAP dénonce deux artifices. Le premier consiste à présenter une non-augmentation comme une diminution. C’est-à-dire que si vous aviez prévu d’augmenter vos dépenses de 100 € à 103 € et que vous ne dépensez finalement « que » 102 €, et bien vous présenterez alors cela comme une réduction des dépenses de 1 €. L’article rappelle donc d’abord que les dépenses ont bel et bien augmenté :
« Dans les documents budgétaires, les dépenses continuent en effet d'augmenter d'une année sur l'autre, mais moins vite que prévu : le budget passe de 369 à 370 milliards en 2013. »
Le tout en précisant que ce type de présentation n’est pas une pratique commune :
« Cette présentation des économies, utilisée par plusieurs gouvernements français ces dernières années, n'est en revanche pas celle d'autres pays. L'Allemagne affiche ainsi un objectif de réduction des dépenses de 10 milliards, en valeur, dans son budget fédéral 2013, qui se reflète dans la baisse de ce dernier, de 312 à 302 milliards d'euros. »
Autrement dit, quand l’Allemagne annonce une baisse des dépenses…il s’agit réellement d’une baisse des dépenses, et pas d’une non-augmentation.
Notons d’ailleurs que l’augmentation annoncée est en fait bien supérieure à un milliard d’euros puisque dans un autre article nous apprenions que les dotations au Mécanisme européen de stabilité et à la Banque européenne d’investissement n’avaient pas été inclues dans les dépenses de l’Etat. Ces dernières s’élèvent donc finalement à 374,5 milliards d’euros en 2013, soit 5,9 milliards d’euros de plus qu’en 2012.
Le second artifice consiste à gonfler l’augmentation prévisionnelle des dépenses. Dans l’exemple précédent, vous gonflez par exemple votre prévision de 103 € à 105 €. La réduction de dépense devient alors de 3 € et vous paraissez avoir fait un effort notable, alors qu’il n’en est rien.
Et c’est exactement ce qu’a fait le gouvernement : il sciemment surestimé la hausse des dépenses tendancielles à 10 milliards d’euros. L’IFRAP a de son côté une estimation beaucoup plus basse avec 5,77 milliards d’euros :
Mais Bercy et l’IFRAP ne sont pas les seuls à avoir réalisé les calculs :
« La Cour des comptes l'avait, pour sa part, évaluée à 6 milliards d'euros en juillet dernier, tandis que le rapporteur général (PS) de la commission des Finances, Christian Eckert, l'estime à 8 milliards dans son rapport sur la loi de programmation. »
L’estimation de la Cour des comptes est donc très proche de celle de l’IFRAP alors que celle du rapporteur général, pourtant socialiste, est à mi-chemin et reste inférieure de deux milliards d'euros à celle de Bercy.