lundi 18 mars 2013

L’échec programmé de la « taxe Tobin »

La « taxe Tobin » consiste en la taxation des transactions financières. Elle s’appelle ainsi du nom de son inventeur James Tobin (prix Nobel d'Économie 1981) et avait pour objet de lutter contre la spéculation. L’économiste l’a suggérée en 1972 avant d’exprimer de fortes réticences, celle-ci étant devenue un des chevaux de bataille des organisations altermondialistes (notamment ATTAC).

Un tel système de taxation avait déjà été mis en place au début des années 1980 en Suède. Les résultats furent catastrophiques, avec un effondrement des volumes de transaction et des recettes fiscales bien inférieures à ce qui était escompté. Pourtant, l’idée n’a jamais été abandonnée et la taxe sur les transactions financières (TTF), également appelée « taxe Tobin », fut ainsi d’abord portée par Nicolas Sarkozy, qui voyait en elle toutes les vertus. Il s’agissait selon lui de « la meilleure des formules » pour trouver « de nouvelles ressources pour le développement ». Cette taxe se voyait même affublée d’un caractère moral et était « utile pour dissuader la spéculation », bien que des études aient démontré que l’augmentation des coûts de transaction augmentait la volatilité alors que la spéculation la faisait diminuer [1]. Cette taxe fut finalement mise en place en août 2012 par le gouvernement socialiste de Jean-Marc Ayrault. Les achats d'actions de sociétés cotées à Paris et dont la capitalisation dépasse le milliard d'euros sont ainsi taxés à 0,2 % (109 entreprises) sont concernées.

L’heure est venue d’en tirer un premier bilan et les résultats s’avèrent être aussi peu probants en France qu’en Suède. La taxe devait, selon François Marc (rapporteur du budget au Sénat) contribuer au budget de l'État à hauteur de 360 à 400 millions dès 2012, puis de 1,6 milliard d'euros en année pleine. Las, elle n’aura généré que 250 millions en 2012 et l’actualisation des prévisions par Bercy ne laisse plus espérer que 600 à 800 millions d'euros pour l’année en cours.

Le gouvernement français, qui a souvent une longueur d’avance pour voter de nouvelles taxes, va être rejoint par dix autres pays de l’Union européenne [2] pour un élargissement qui devrait intervenir début 2015 mais dont les contours ne sont pas encore précisément définis. Son produit, évalué en début d’année par Pierre Moscovici à « plusieurs dizaines de milliards d'euros », est désormais estimé dans la fourchette basse, puisqu’elle ne devrait plus rapporter que « vraisemblablement plus de dix milliards d'euros ».

Toujours est-il que la définition du périmètre de cette taxe va s’avérer problématique. Lors de sa mise en place par le gouvernement français, ce dernier avait pris soin d’exclure de son champ d’application les obligations publiques et privées. Étant donnés les considérables besoins de financement des États (les membres de l’OCDE devraient emprunter 10 900 milliards d’euros en 2013), les gouvernements ont évité de se tirer une balle dans le pied. De plus, les politiciens reprochant régulièrement aux banques de ne pas assez financer l’économie, ils ne pouvaient simultanément proposer de taxer les obligations privées, ces dernières étant la seconde source de financement des entreprises après le crédit bancaire. Pourtant le périmètre de la prochaine taxe européenne pourrait être plus large : les échanges d'actions et d'obligations seraient taxés à un taux de 0,1% (niveau supérieur à la rémunération de certains titres souverains à court terme…) et les contrats dérivés à un taux de 0,01%.

Éric Pagniez, de l'association française de gestion financière, s’inquiète de son côté pour la compétitivité des fonds monétaires français (dont les rendements sont également proches de 0 %). Ces derniers, avec des actifs de 374 milliards d'euros, sont en effet leaders européens et seraient menacés par les OPCVM monétaires basés au Luxembourg et en Irlande, qui ne seront pas concernés par la taxe.

La « taxe Tobin », malgré ses échecs passés, a donc été mise en place en France et sera élargie à de nombreux autres pays européens. Toutefois, son rendement risque d’être bien moindre qu’attendu, mais également de déstabiliser de nombreux acteurs du marché et de peser sur le financement de l’économie.

[1] Article : The Role of Transaction Costs for Financial Volatility : Evidence from the Paris Bourse, Harald Hau
Voir également La spéculation et le prix des oignons
[2] Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Estonie, Grèce, Italie, Portugal, Slovaquie et Slovénie.

Publié initialement sur le site 24hGOLD.

dimanche 3 mars 2013

Dangers sur la dette japonaise

Nous avons vu lors d’un précédent article que les politiques keynésiennes menées par les différents gouvernements japonais ces deux dernières décennies avaient été inefficaces sur la croissance alors qu’elles avaient fait exploser la dette publique. Cette dernière atteint désormais 237% du PIB, ce qui correspond à un record au niveau mondial.

Comment se fait-il que l’État japonais ait pu atteindre un tel niveau d’endettement alors que récemment de nombreux États de la zone euro (PIIGS [1]) se sont retrouvés exclus (ou ont été proches de l’être) des marchés financiers faute d’investisseurs ayant confiance dans leurs obligations souveraines ? La principale explication est que la dette souveraine japonaise est très majoritairement (à 91%) détenue par des résidents, qui sont une clientèle captive, comme on peut le constater sur ce graphique résumant les détenteurs d’obligations d’État :



Parmi les détenteurs de dette souveraine nous pouvons trouver la Banque du Japon (BoJ), qui en détenait à fin 2012 114 trillions de yens se décomposant en 89,2 trillions de JGB [2] et 24,5 trillions de Treasury Bills [3]. Cela correspond à environ 10% du total, soit 24% du PIB. A titre de comparaison, la BCE, qui avait procédé au rachat de dettes souveraines des PIIGS sur le marché secondaire, n’en a pas possédé dans son bilan plus de 211 milliards d’euros, soit environ 2% du PIB de la zone euro.

La BoJ continuera à racheter massivement de la dette souveraine. Par contre, certains acheteurs traditionnels de dette (comme le fonds de pension public) devraient devenir progressivement vendeurs, à un rythme certes assez lissé dans le temps. En effet, la génération du baby boom de l’après guerre commence à arriver à la retraite et la démographie japonaise laisse présager une tendance assez lourde :


Le niveau de détention de dette japonaise par les étrangers se situe d’ailleurs actuellement à un niveau élevé et devrait donc continuer à progresser :


Le deuxième élément clef qui rend la dette japonaise encore soutenable est la faiblesse du rendement offert, qui est directement liée à une inflation faible. En effet, celle-ci, ou plus exactement l’anticipation d’inflation future, est une composante [4] importante du rendement que l’investisseur va exiger pour prêter. Le relèvement de l’objectif d’inflation de la BoJ risque donc d’avoir des conséquences importantes en augmentant le coût d’emprunt.

Négligeant ce risque, le Premier ministre du Japon, Shinzo Abe, a demandé à la BoJ d’atteindre une inflation de 2%. Il espère ainsi effacer une partie de la dette par ce que Keynes appelait l’euthanasie des rentiers. Les prêteurs sont bien remboursés du bon nominal, mais avec une monnaie qui a perdu de la valeur (via l’inflation donc). Par exemple, à raison d’une inflation de 2,0% par an pendant 10 ans, 100 yens en début de période ne valent plus que 82 yens à la fin : cette monnaie s’est ainsi dépréciée de 18%.

Or, de 2001 à 2011, il y a eu une baisse des prix de 2,0%. Autant dire que le gouvernement japonais n’a pas bénéficié du tout de l’effacement de la dette par l’inflation. Le gouvernement a donc forcé la main de Masaaki Shirakawa, l'actuel gouverneur de la BoJ, pour qu’il relève l’objectif d’inflation de 1% à 2%, niveau que le Japon n’a plus atteint depuis plus de 20 ans :


On constate que l’objectif de 1% d’inflation a rarement été atteint. Pour autant, la nouvelle cible de 2% ne sera pas facultative. Shinzo Abe est en effet monté en agressivité devant le Sénat en parlant de « revoir la loi fixant le statut de la BoJ » si l’objectif n’était pas atteint.

Masaaki Shirakawa, qui doit quitter ses fonctions le 19 mars, affiche une certaine lucidité sur les risques d’une telle politique. Il remarque à juste titre que si l’objectif d’inflation augmente, alors les rendements demandés par les marchés financiers seraient plus élevés, ce qui renchérirait les conditions de financement pour les nouvelles obligations. Il note (tout comme le FMI) en outre que la stabilité des banques, grandes détentrices de dette souveraine japonaise, risquerait d’être mis à mal (une augmentation des taux signifie une baisse du prix).

La dette japonaise a une durée de vie moyenne d’environ 7 ans, avec des maturités résiduelles assez courtes :



Ainsi, si l’on exclut les Treasury Bills, environ 300 trillions de yens (2 400 milliards d’euros !) de dette vont arriver à échéance de 2013 à 2017. Il s’agit d’autant d’argent qu’il faudra réemprunter, cela en plus des déficits futurs. Cela veut dire que, sur une hypothèse (toute théorique) de renchérissement homogène du coût de l’emprunt de 2,00% (écart entre la cible et l’inflation moyenne des 10 dernières années), l’État japonais devrait réserver pas moins de 48 milliards d’euros supplémentaires chaque année à la charge de la dette (sans compter les nouveaux déficits donc).

L’État japonais se retrouve donc dans une situation particulièrement périlleuse. Les deux facteurs qui rendaient sa dette soutenable sont amenés à disparaître. Tout d’abord la proportion de détention par des étrangers va s’accroître, principalement à cause de raisons démographiques. Ensuite, l’augmentation de l’inflation débouchera sur une hausse des rendements demandés par les investisseurs et risque d’entraîner le Japon dans un engrenage où la charge de la dette deviendrait difficilement supportable en plus de mettre en péril le système financier japonais.

[1] Portugal, Irland, Italy, Greece and Spain
[2] JGB (Japanese Government Bond) : obligations moyen ou long terme
[3] Treasury Bills : obligations à court terme
[4] Les deux autres étant la préférence temporelle et la perception par l’investisseur du risque de crédit (voir l’article Taux d’intérêt des dettes souveraines : une baisse illusoire)

Publié initialement par 24hGold