dimanche 28 juillet 2013

Guerre monétaire : à qui gagne perd

La guerre des changes semble déclarée. Le postulat de départ de ses défenseurs : une monnaie forte nuirait à l’économie, et une relance de cette dernière passerait inévitablement par une dévaluation. Si cette thèse ne fait pas l’unanimité, elle semble communément admise et de nombreux gouvernements semblent vouloir s’engager dans cette voie.

Cette opinion est en tout cas largement partagée en France parmi les partis politiques. Pour le Front National, « le taux de change de l’euro est beaucoup trop élevé pour la France, accélérant les délocalisations et la désindustrialisation de notre pays ». Le Parti de gauche veut s’attaquer à l’euro fort, qu’il appelle «euro Merkel».

Cette opinion est également partagée au sommet de l’État et par plusieurs membres du gouvernement. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, pour qui « l'euro est trop haut par rapport à ce que l'économie européenne, pas seulement française, est en droit d'attendre », est (pour une fois) sur la même longueur d’onde que Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances, qui s'inquiète que l’euro soit « fort, peut-être trop fort ». Seul l’UMP n’en fait pas le bouc émissaire des malheurs de la France, mais elle reste muette sur ce sujet.

Les critiques sont d’autant plus importantes que la zone euro semble parmi les moins actives dans cette guerre. La banque HSBC a ainsi évalué le degré de participation à cette guerre des changes :

On le voit, dans tous les pays étudiés la guerre s’est intensifiée, et il apparaît que, malgré une plus grande activité qu’en février 2012, la zone euro reste ‘à la traîne’ (si l’on considère qu’être très actif dans ce domaine est une bonne chose).

La question du niveau de l’euro par rapport aux autres monnaies est légitime, mais il est difficile de savoir s’il y a surévaluation, et si oui de combien. On peut tout de même formuler quelques remarques et apporter des éléments de réflexion.

Tout d’abord, le commerce de la zone euro ne semble pas affecté puisqu’elle dégage un excédent commercial assez conséquent (81,8 milliards d’euros en 2012).
Au mois de mars 2013, l’excédent atteignait même son niveau record avec 22,9 milliards d’euros, pour atteindre 14,1 puis 15,2 milliards d’euros les deux mois suivants. Il est vrai que ce chiffre agrégé cache de grandes disparités, notamment entre les forts excédents allemands et les importants déficits français.
Le déficit de la balance commerciale française atteint 63,3 milliards d’euros sur les 12 derniers mois, mais quand on regarde le solde avec nos principaux partenaires commerciaux, il semble difficile d’incriminer l’euro :

On observe que parmi les sources de déficits de la balance commerciale se trouvent de nombreux producteurs d’énergie. Cette impression est confirmée quand on regarde le détail des déficits par produit :

Les hydrocarbures naturels et les produits pétroliers représentent un déficit cumulé de presque 70 milliards d’euros. Il y a nécessité d’importer ces matières premières, capitales pour nos économies, donc si l’euro devenait plus faible, la facture énergétique serait d’autant plus élevée et pénaliserait les citoyens comme de nombreuses entreprises.

Regardons l’évolution du taux de change de l’euro depuis son lancement (en janvier 1999) par rapport à plusieurs monnaies parmi les plus importantes : le dollar américain, le franc suisse, la livre sterling, le yen et le renminbi :
Une base 100 est indiquée en janvier 1999. Un niveau supérieur à 100 s’interprète comme une appréciation de la monnaie par rapport à l’euro.

On voit que les devises suisses et japonaises se sont fortement appréciées, ce qui a entraîné un certain interventionnisme. La Banque nationale Suisse (BNS) avait établi en septembre 2011 un seuil de 1,20 CHF/€ au-delà duquel sa monnaie ne serait pas autorisée à se déprécier. Mais le prix à payer fut lourd. La BNS a ainsi acheter près de 200 milliards d’euros en obligations d’États (principalement françaises et allemandes). Son bilan atteint désormais plus de deux-tiers du PIB de la Suisse (400 Mds CHF contre 580 Mds CHF). Comme déjà évoqué, l’interventionnisme de la Banque du Japon (BoJ) est également important et son mandat est même étendu depuis l’élection de Shinzo Abe (achat d’obligations souveraines, taux maintenus artificiellement bas, objectifs d’inflation relevés…). Les résultats sont d’ailleurs spectaculaires puisque, depuis moins d’un an, le yen s’est déprécié par rapport à l’euro de plus d’un quart de sa valeur.

On note que le plus important pays excédentaire par rapport à la France, c’est-à-dire la Chine, a vu sa devise s’apprécier par rapport à l’euro. La plus forte dépréciation est constatée pour la livre sterling, alors que c’est avec le Royaume-Uni que le plus gros excédent commercial est dégagé.

L’euro faible semble donc être une solution illusoire. Les importations seraient renchéries, ce qui diminuerait encore le pouvoir d’achat. Les exportations seraient certes favorisées, mais le niveau du taux de change ne semble pas déterminant pour la balance commerciale. De plus, les banques centrales qui se sont engagées dans cette guerre des devises ont gravement alourdi leurs bilans. Ce qui compte pour les investisseurs, c’est sans doute plus la stabilité d’une monnaie que son niveau absolu.

Publié initialement sur 24hGold

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